Chapitre III : Les autres, cette calamité-Qadir

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     Qadir n'aimait pas écouter aux portes, enfin, pas particulièrement. Il lui arrivait de temps en temps d'aller espionner son frère, une activité qu'il combinait souvent avec son deuxième passe-temps, qui consistait à l'embêter jusqu'à qu'il soit trainé loin de sa chambre par son précepteur exaspéré. Mais ici, au palais, espionner, même le plus minable des écuyers, était une source de divertissement extraordinaire.

     Seulement voilà. Il ne pouvait espionner à sa guise sans que ses trois autres cousins ne viennent le suivre, le pas lourd comme un éléphant et pas discret pour un sou. Penser au nombre de commérages qui lui étaient passés sous le nez à cause de ces imbéciles lui donnait la migraine.

-Continuez à me suivre et je verserai du poison dans vos verres ce soir ! hurla-t-il finalement le troisième jour, à bout de patience.

-Je suis immunisée contre les poisons, répondit Bala en haussant les épaules. Et je dirai au sultan que c'est toi qui as empoisonné les deux autres.

     Il n'aimait pas Bala, elle avait toujours quelque chose à dire, à critiquer, à rectifier. Il n'aimait pas non plus Zayn, qui semblait le mépriser du plus profond de son être, à trouver les commérages stupides quand ils pouvaient voler dans les cuisiner et manger tout ce qui leur était habituellement interdit.

     S'il était honnête avec lui-même, la seule personne qu'il tolérait était Kamra. Elle ne parlait que très peu et ses pas à elle n'étaient pas si lourds. Parfois, il oubliait même qu'elle était là mais quand il posait les yeux sur elle, tout ce qu'il voyait était... triste. Un océan de tristesse, si grand qu'il avait peur de s'y noyer en l'approchant plus que nécessaire.

     La mort d'Abbas avait été un choc pour tous, surtout pour les aînés, mais la douleur que dégageait Kamra était quelque chose qu'il n'avait jamais expérimenté. Et qu'il ne voulait pas éprouver, merci bien. Kamra était l'objet de tous les commérages depuis des jours, il connaissait toutes les versions de l'incident, de la plus horrible à la plus tragique en passant par la plus pathétique mais aucune des stupides commères n'entendait les cris cauchemardesques de la jeune fille, chaque soir, alors que les quartiers qu'ils partageaient étaient plongés dans la pénombre. Personne ne s'était précipité dans sa chambre quand les cris se muaient en supplication, quand les draps devenaient humides à cause de la transpiration. Personne à part eux.

     La première nuit, ce fut Zayn qui accourut, persuadé que quelqu'un égorgeait sa cousine germaine. La deuxième, ce fut Bala, ce qui la laissa plus désagréable que d'ordinaire pour le reste de la journée. La troisième, ce furent eux trois et, à la grande horreur de Qadir, trois ne fut pas trop pour maîtriser le mal qui prenait possession de Kamra chaque nuit. Comme une possédée, elle se débattait quand ils tentaient de la réveiller, griffant et hurlant pour qu'on la laisse tranquille. Qu'on le laisse en paix.

     Un jour où l'autre, la curiosité de Qadir le pousserait à demander à l'autre la tragédie qui l'habitait mais en attendant, il obéissait aux ordres de son sultan, même si supporter ses trois compagnons était une véritable agonie.

-Tu n'en as pas marre d'écouter les ragots des servants ? demanda Zayn avec nonchalance, les yeux rivés sur les portes entrouvertes des cuisines.

     L'odeur qui s'en dégageait était alléchante, une odeur de viande mais aussi de miel et de fruits. De là où ils étaient, coincés entre deux vases décorés de jasmin, ils goûtaient aussi à la chaleur des fours, véritable fournaise constante pour nourrir un palais surchargé en cette période de l'année. Pour Qadir, tout était trop fort, trop chaud, trop bruyant, ses sens aux aguets en permanence, comme un second instinct. Et son instinct lui disait que les commérages du jour allaient enfin les détourner de leur ennui, malgré les protestations de Bala.

Les Héritiers de l'Hassadie : Le Chant des Khadymm (Premier Jet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant