Politiquement incorrect

LA FILLE DU TRAIN

Il était une fois un train non-mouvant. Le comble ! Il était très doué dans son immobilité à tel point qu'il était devenu un décor habituel de cette petite campagne néerlandaise. Les passants avaient oublié, ou n'avaient pas cherché à connaître, la petite histoire de ce train sans chemin.

Il m'a toujours intrigué pourtant.

Un train qui ne bouge pas, que personne ne connaît, qui n'a pas de passé connu, un mystère que je mourrais d'envie de découvrir. Un jour, alors que je me promenais aux alentours de ses wagons figés, j'ai eu le besoin physique de m'approcher un peu plus. C'est ainsi que je me suis retrouvée devant la porte d'un de ces wagons inanimés. C'était un vieux train. Une peinture bleue nuit le recouvrait et ci et là des courbes dorées rendaient vivant ce train éteint depuis des dizaines d'années. Le métal du véhicule figé était visible à certains endroits où le temps avait laissé ses marques et à d'autres endroits la crasse et la terre étaient venues embrasser les flancs du géant de fer. Mais malgré les années qui s'étaient écoulées, le train semblait conserver miraculeusement sa couleur et son aura d'antan. J'ouvrais alors la porte, non sans quelques difficultés car la crasse et la poussière s'étaient immiscées dans ses jointures. C'est alors que je l'ai vu.

Il y avait une jeune fille dans le train. Le genre de fille qui provoque quelque chose dans le cœur et l'âme de la personne qui la voit. Cette fille là avait l'air fantomatique mais si réelle. J'avais alors rencontré la fille du train. Il y avait le canapé du train, les sièges du train, les roues du train mais il y avait aussi, et surtout, la fille du train. 

Je l'ai regardé pendant ce qu'il m'a paru des heures sans qu'elle ne prononce un seul mot. Nous nous sommes regardé encore et encore. La fille du train devait avoir la trentaine pourtant elle paraissait jeune comme si le temps s'était arrêté et qu'elle avait conservé son teint, son esprit de petite fille. Elle m'a tout raconté sur son histoire et je suis ici, aujourd'hui, pour vous la conter. Que son histoire ne soit plus jamais oublié et que les gens connaissent enfin la légende du train échoué et de la jeune fille qui l'a fait vivre.

La fille du train était apparue en même temps que le train en lui-même, si bien qu'elle semblait (et elle l'était !) enracinée dans la moquette de ce lieu non-vivant. Toutes les légendes que vous avez entendu à propos de ce train et des gens qui étaient dedans sont fausses. Non ce train n'est pas simplement un vieux train désaffecté qui a été abandonné car l'entreprise qui le prenait en charge a fait faillite. Non, ce n'est pas non plus une histoire d'un simple accident qui a mené à l'abandon de ce train. L'histoire est bien plus loufoque et étrange que cela.

Cette histoire commençait tranquillement dans un train qui roulait à toute vitesse. La fille du train était assise à côté de ses parents dans ce train luxueux qui allait tout droit vers Amsterdam. Elle avait hâte d'arriver à destination et ne pouvait pas s'empêcher de trépigner dans son siège. Mais la suite est prévisible : le train déraille et il finit par s'échouer aux abords de la forêt. Les survivants ? Aucun. Enfin sauf cette petite fille qui s'en était sorti sans une égratignure. Tous les voyageurs ont perdu la vie lors de cet évènement tragique. Mais qu'allait donc faire la petite fille seule au milieu de nul part ? Elle ne savait où aller alors elle a décidé de rester là. C'était une décision assez incohérente qui n'a eut de sens que pour la fille du train. Les autorités ne sont pas allées fouiller ce train en supposant qu'il n'y avait aucun survivant au vu du calme qui régnait sur les lieux de l'incident et de la vitesse que l'animal avait pris avant de s'échouer violemment. Personne n'a jamais essayé de récupérer les cadavres de ces pauvres gens ni le corps frêle de la fillette.

La fillette, même si elle l'avait voulu, n'aurait jamais pu s'enfuir de ce lieu maudit entouré d'une forte végétation et a dû se faire à la vie solitaire et isolée qui l'attendait. Elle n'aurait alors pour seule compagnie que ce monstre de fer inerte. La pauvre bête était morte sur son flanc droit mais au fil des années la fille du train avait réussi à la remettre sur pied avec l'aide de la forêt et de ses racines imposantes. Elle aurait relevé le train chaque jour un peu plus jusqu'à ce que celui-ci se retrouve dans la position qu'on lui connaît aujourd'hui. La petite fille aurait alors grandi en même temps que les immeubles et bâtiments aux alentours et son corps frêle aurait pris racines dans la moquette du train. La fille du train avait redonné vie au train, elle avait donné sa vie au train. Elle était tellement attaché à ce train qu'elle ne l'a jamais quitté et qu'elle ne pourra plus jamais partir de ce lieu. 

Je voudrais que nous tenions tous compagnie à cette légende vivante qui n'a fait qu'un avec un serpent de fer. Citoyen.ne.s, écoutez moi et annulez les constructions prévues sur ce site, respectons la vie de la fillette et soutenons la dans son courage éternel. Si vous doutez de ma parole. Si vous me croyez folle. Si vous voudriez m'envoyer à l'asile pour avoir raconté de telles absurdités, allez d'abord voir la fille du train et allez lui demander de vous raconter son histoire. Revenez me voir ensuite quand vous aurez trouvé le salut, que vous n'aurez plus aucune défiance envers moi et nous allons construire le monde de demain ensemble. 

Que les légendes comme elle soient célébrées et que nous arrêtions de vouloir brûler notre patrimoine pour construire un futur sans histoire qu'on nous vend à longueur de journée.