Écume d'été

Chapitre 17 - Okra - partie 1

*** Note update (encore une :p) pour les lecteurs de la première heure, j'ai changé les "titans" par des "djinns" parce que ça colle beaucoup mieux à mon univers et que je peux utiliser certains "vrais" djinns aux pouvoirs super intéressants... :D**

Ishan n'avait pas menti. La traversée du désert fut longue et laborieuse. Malgré les nombreuses escales que leur groupe effectuait à l'ombre des canyons et au cœur des oasis sur une route définie d'avance, les journées suivaient un rythme instable. Selon les distances qui les séparaient de deux points de chute, ils devaient voyager pendant la nuit, ou se lever avant l'aube. Parfois, ils restaient des heures au même endroit, attendant que les rayons de soleil brûlants se dissipent.

Shae suffoquait. Certains jours, épuisée après une nuit de traversée cahotante, elle finissait par s'endormir dans un des chariots étouffants, pour se réveiller quelques minutes plus tard, en sursaut, avec la sensation qu'aucun filet d'air ne pénétrait ses poumons.

Zarin avait rapidement abandonné ses réclamations pour monter à cheval, préférant l'ombre lourde des chariots au soleil aveuglant. Elle regardait le paysage défiler, et comparait chaque rocher, chaque végétation à ceux de Zarcane. Elle détaillait avec nostalgie les hauts canyons où son peuple s'était établi, ses vallées et ses rivières.

À chaque arrêt, Ishan se déplaçait d'un endroit à un autre — s'assurant que tout le monde avait suffisamment à boire, que les chevaux n'étaient pas trop sollicités — et vérifiait les itinéraires du voyage. Il semblait vouloir être partout à la fois, sans jamais s'accorder un moment de répit. Lorsqu'il avait un instant de libre, il se replongeait dans les longs rapports indigestes sur les mers. Parfois, Shae s'asseyait à ses côtés et tentait de lui fournir des informations précieuses que sa mémoire contenait encore. Cependant, la plupart du temps, elle se trouvait trop épuisée et essayait de glaner quelques heures de sommeil lorsque la fraîcheur de la nuit s'infiltrait enfin sous les pans de la tente. Dans ces moments-là, ses origines marines lui apparaissaient comme un fardeau.

Le temps s'écoulait, et avec lui, les doutes de Shae se multipliaient. L'épisode de son attaque semblait plus lointain à présent qu'une distance physique la séparait du lieu de l'incident. Les émotions fortes qu'elle avait ressenties s'étaient dissipées, mais ses questionnements restaient présents : devait-elle continuer le plan de l'Autre ou envisager d'autres options ? Et après ? Que deviendrait-elle ? Alors qu'Ishan inspectait le camp, Shae ouvrit son journal, l'une des rares possessions qu'elle avait emmenées avec elle.

"Si tu réussis et qu'Alistair se retrouve enfermé au fond de la fosse pour de bon, tu seras libre. Je ne sais pas quel futur se dessinera pour toi. Tu pourras retourner au fond des mers, retrouver ton père et tes sœurs, mais si l'on découvre que tu es responsable de la disparition d'Alistair, tu auras de nombreux ennemis. Peut-être rencontreras-tu des amis sur la route qui t'aideront et te donneront de nouvelles perspectives d'avenir, une façon de disparaître. Ou alors tu peux recommencer ta vie ; les îles Kamoe au nord de Jivaran sont une bonne destination, et le climat y est plus clément."

Shae referma le journal. La vérité, c'est qu'elle se sentait trop lâche pour tout abandonner maintenant, pour sortir du sentier que l'Autre avait tracé pour elle. Partir seule, sans plus avoir le support de son journal, lui semblait plus terrifiant que tout le reste. Elle prit donc la décision de continuer, d'essayer jusqu'à la visite du sorcier au palais. Si elle n'obtenait rien d'ici là... elle envisagerait d'autres solutions. Quant à son avenir... il était trop tôt pour y songer.

Shae somnolait dans leur chariot, lorsqu'un soldat interpella Ishan.

— Mon prince, la fosse est en vue !

Ishan se redressa, et tous se penchèrent par les fenêtres du chariot. Au loin, Shae distingua la silhouette de tours imposantes et, à leurs pieds, une fissure béante qui s'ouvrait dans le sol et s'étirait jusqu'à l'horizon.

— Je ne vois rien ! s'exclama Pooja, qui était assise dos à la direction de leur marche.

Ishan demanda l'arrêt du convoi et alla se hisser sur son cheval. Shae pouvait percevoir la hâte et l'anxiété qui se mêlait dans ses gestes. Une heure plus tard, ils atteignirent la fosse et Shae put enfin étirer ses membres endoloris par une autre longue journée de traversée.

Elle contempla avec stupeur la ville devant elle. Elle s'était attendue à un village, mais l'endroit était vibrant de vie. Des maisons rectangulaires bordaient la fosse ; on y trouvait une place centrale, des parcs et des fontaines alimentées par une rivière au cœur du canyon. Des ponts, attachés à des tours rocailleuses, permettaient de traverser l'abîme. Aucune trace des djinns à première vue, ce qui la surprit davantage. Elle s'était attendue à une sorte de prison, pas à cette ville où des enfants jouaient comme si aucun monstre millénaire capable de tout annihiler ne siégeait sous leurs pieds. Les habitants interrompirent leurs activités en apercevant la délégation princière, et beaucoup de regards s'arrêtèrent sur Shae. Elle soupçonnait que la plupart n'avait jamais vu d'ondine. Elle redressa son voile sur ses cheveux et s'avança vers Ishan.

Le prince discutait avec des soldats enveloppés dans des étoffes de couleur verte. L'ondine entendit plusieurs fois le nom de Sameer. Elle était curieuse de découvrir ce dernier frère, bien qu'elle redoute une réaction similaire à celle d'Amar et de Falak lorsqu'il découvrirait sa peau blafarde et ses cheveux couleur de feu.

Leur convoi déchargeait ses marchandises, et Ishan fit signe à Shae et à ses dames de compagnie de le suivre. Ils parcoururent les ruelles de la ville — Okra —, longeant le large gouffre. L'ondine essaya de sonder ses profondeurs, mais elle ne vit qu'une rivière calme qui ondulait en contrebas. Le sol rouge et sec craquait sous ses pieds, et seul un muret de terre fissurée la séparait de l'abîme.

Ils approchèrent d'une tour surplombant le précipice — une structure massive de pierres ciselées, surmontée d'un dôme doré — lorsqu'une silhouette agitée émergea de la porte principale. Shae vit Ishan se raidir en apercevant l'inconnu. Ce dernier s'arrêta à quelques mètres du prince, avec un regard réprobateur. Impossible de douter de son identité : aussi grand et large d'épaules que ses frères, Sameer avait un visage anguleux, presque sculpté. Son long visage rectangulaire était orné d'un nez droit et de pommettes hautes. Ses yeux, d'un bleu presque gris, étaient ce qui surprenait le plus chez lui. Ses cheveux étaient entourés d'un voile rouge, maintenu par une broche d'or sur son front.

— J'aurais dû me douter que tu viendrais, lança-t-il d'une voix rocailleuse.

Ishan se balança d'une jambe à l'autre, mal à l'aise.

— Tu as coupé toute communication entre nous, je n'avais pas d'autre choix.

Sameer secoua la tête et ferma les yeux.

— Je te préviens, Ishan, la discussion est close. Si tu es ici pour...

— J'ai compris. Je n'insisterai plus.

Sameer le jaugea du regard puis opina. Finalement, il ouvrit les bras et Ishan lui donna l'accolade.

— Tu sais de quoi ils parlent ? chuchota Pooja à l'oreille de Shae.

Shae répondit par la négative. Finalement, le regard du prince aîné se posa sur les trois femmes avant de s'arrêter sur Shae. Il s'avança vers elle et s'inclina pour un baisemain.

— Bienvenue dans la famille ! Je suis navré de ne pas avoir pu assister au mariage de mon frère, mais je suis ravi de voir qu'il a trouvé une si jolie jeune femme.

Il détailla ensuite Pooja et Zarin.

— Jolies, au pluriel, corrigea-t-il avec un sourire charmeur.

Ishan leva les yeux au ciel.

— Doucement avec les compliments, dit-il en tapant Sameer sur l'épaule. Je te connais.

Sameer éclata de rire, puis les invita à le suivre pour leur montrer où ils séjourneraient pendant les prochains jours.