[ Point de vue de Maya ]Trois ans auparavant.
J'avais encore raté mon bus.
Comment ? Aucune idée.
Combien de fois cette semaine ? Je ne savais même plus.La nuit avalait la ville sous un voile d'encre. L'air était glacé, mais ma peau brûlait sous une fine pellicule de sueur.
Parce que je courais.
Parce que je ne pouvais pas m'arrêter.
Pas après ce que je venais de voir.
Le bruit du coup de feu résonnait encore dans mes oreilles.
Le corps d'Amy, effondré au sol.
Le sang qui s'élargissait sous elle comme une ombre poisseuse.
Et surtout... lui.
Ce garçon, debout dans l'obscurité.
L'arme encore fumante dans sa main.
J'avais tout vu.
J'avais vu Amy tomber, sa bouche s'ouvrir comme pour crier un dernier mot... qui ne viendrait jamais. Son regard accrocher le mien, un mélange de choc et de quelque chose d'indéchiffrable dans ses yeux.
Et moi ?
Je n'avais rien fait.
Je ne m'étais pas précipitée vers elle, je ne l'avais pas appelée, je ne m'étais pas interposée.
J'étais restée figée. Puis j'avais fui.
Mes pas résonnaient sur le bitume, rapides, affolés. Mon souffle se coinçait dans ma gorge.
Je ne savais pas où aller.
Je ne savais même pas si je courais pour lui échapper... ou pour échapper à moi-même.
Je me jetai dans une ruelle sombre, plaquant une main tremblante contre ma bouche pour étouffer ma respiration haletante.
Ce n'était pas possible.
Amy était morte.
Celle qui avait été mon ancre. Celle qui m'avait tendu la main quand personne ne l'avait fait.
Je me souviens encore de notre première rencontre, comme si c'était hier.
J'étais nouvelle à l'école. Une étrangère dans un monde où tout le monde semblait déjà avoir trouvé sa place.
Et moi ?
J'étais là, seule.
Le ciel s'était assombri en un instant, une averse soudaine s'abattant sur la cour. Je m'étais précipitée sous un arbre, tentant désespérément de protéger mes livres de la pluie.
Les autres élèves couraient vers l'abri, riant, s'éloignant comme si je n'existais pas.
Mais elle... elle, elle est venue vers moi.
Un parapluie au-dessus de sa tête.
— Hé, toi. Tu veux tomber malade ou quoi pourquoi tu restes la, dit-elle avec un sourire en coin.
J'ai levé les yeux, surprise. Elle était populaire. Aimée. Intouchable.
Pourquoi me parlait-elle, moi ?
— Viens, ajouta-t-elle, ouvrant un peu plus son parapluie. On peut partager.
J'ai hésité.
Puis j'ai hoché la tête.
Et nous avons marché ensemble, sous cette bulle rouge et tremblante, à l'abri du monde.
À partir de ce jour, Amy ne m'a plus jamais laissée seule.
Elle m'a entraînée avec elle, me présentant à ses amis comme si j'avais toujours fait partie du groupe. Comme si je comptais.
Mais ce n'était pas juste de la gentillesse. Un jour, alors que nous étions assises sur un banc, à l'ombre des arbres du parc, elle m'avait regardée longuement, un sourire triste sur les lèvres.
Puis elle avait dit ces mots :
— Tu me rappelles quelqu'un.
J'avais froncé les sourcils.
— Qui ça ?
Amy avait détourné le regard, fixant un point invisible au loin.
— Un ami d'enfance, murmura-t-elle. Lui aussi, il était différent. Mais pas dans le mauvais sens. C'était comme s'il voyait le monde avec des yeux plus clairs, plus honnêtes. C'est ce que je ressens avec toi, Maya. Toi aussi, tu as ce regard...
Elle n'en avait jamais dit plus sur cette mystérieux ami. Mais à partir de ce jour-là, j'avais compris que notre lien était spécial.
Elle voyait en moi quelqu'un que j'ignorais être.
Elle m'avait choisie.
Et maintenant...
Elle n'était plus là.
Je serrai les poings, les larmes coulant sans fin sur mes joues.
Elle m'avait rappelé quelqu'un, avait-elle dit.
Mais qui me la rappellerait, elle, maintenant qu'elle était partie ?
Je relevai lentement la tête.
Il fallait que je réfléchisse.
Parce qu'il allait me chercher.
Ce garçon.
Il savait que j'étais là.
Il savait que j'avais vu.
Et un meurtrier, quand il sait qu'il a un témoin... il ne laisse pas de témoin.
Un frisson glacial me traversa.
Que devais-je faire ?
J'errai ainsi jusqu'au matin, évitant les rues trop éclairées, évitant les visages qui pourraient me reconnaître, me poser des questions.
Parce que si j'ouvrais la bouche, si je disais quoi que ce soit...
Je risquais de me trahir.
Finalement, mes pas me menèrent devant un bâtiment illuminé.
Les lettres rouges clignotaient au-dessus de moi.
POSTE DE POLICE.
Je levai les yeux vers la porte.
Mes doigts se crispèrent.
J'allais entrer.
J'allais parler.
Mais au dernier moment...
Je fis un pas en arrière.

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L'ombre du Parapluie (réécriture)
RomanceElle n'a pas crié. Pas tout de suite. Juste ce silence, glacé, irréel. Amy était allongée là, le regard vide, et Maya ne comprenait pas. Ou plutôt, elle refusait de comprendre. Il y avait du sang. Beaucoup trop. Et ce garçon, à quelques pas, l'arme...