Écrits sur la littérature, Paul Rafin, 2023

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Rafin est assurément un passionné des synthèses littéraires, franc et altruiste : en élans sincères et d'un style limpide, sa voix transporte un enthousiasme clair, général et accessible, en quoi il est un excellent vulgarisateur. On lui devine du transport au contact des œuvres, cette empathie appâtée de curiosité qui fonde, et parfois artificialise d'avance, l'admiration, ainsi que la volonté de reproduire et de relayer des plaisirs, comme par gratitude. C'est un prolongateur d'émois qui est critique au sens de passeur parce qu'il aime partager des impressions positives – inutile de chercher dans ce recueil une pensée-contre. C'est un lecteur humble et déférent. Ce qui lui plaît, c'est la couleur, le pittoresque, le panache, à l'image de la vibration que lui font les livres qu'il aime, la sorte d'entraînement que cela suscite chez celui qui débonde, quoique sans la singularité qui risquerait d'adultérer la référence en l'ornant de manière trop personnelle. Il semble aimer tout, s'écoute aimer, aime exprimer son amour des livres, manifeste une grande confiance en les goûts des siècles, les classiques lui font un effet de fiabilité. Il se prosterne et s'efface devant la gloire. Il est heureux d'une espèce de béatitude, il veut bientôt communiquer sa satisfaction comme on lui a communiqué des bonheurs de livres vers lesquels on l'a dirigé ; c'est ce qui lui importe : voici en cela un homme aimable qui tient à traduire ces amours qu'il a éprouvées.

Et c'est exactement par où il pèche en tant que critique.

Il transmet c'est-à-dire qu'il perpétue des réputations en suivant une tradition, mais il n'invente, ni ne découvre, ne justifie rien. Ces louanges indéniablement propres sont sages et fades, sans innovation ; elles finissent par lasser de louanges déjà-lues, sans écart à l'opinion, générale, sans apport inédit : la personnalité manque à Rafin. Son recueil est habile en résumés et en reprises, et il est aussi, à cause de cela, positivement et artistiquement inutile. Des livres qu'il apprécie, il cite presque toujours les passages les plus encensés, ses articles sont des fiches connues, faites comme dans les manuels, trop simples et digestes pour prétendre à mieux qu'un guidage large, au point qu'à plusieurs moment j'ai cru, s'agissant des textes et des auteurs que je méconnais, avoir lu les reprises des mêmes éditions des mêmes anthologies (je pense surtout à une sélection de poésie reliée du Reader's Digest de 1982).

Je n'obtiens pas ainsi la saveur idiosyncratique que je cherche à un texte de littérature.

Rafin est toujours convenable, tendre, bienveillant, et nul Contemporain ne cherchera à le contester tant il est subalterne. Il ne condamne personne, excuse toutes les sorties un peu dures et pardonne toutes les fautes un peu flagrantes que les auteurs ont pu faire : il s'exprime incessamment depuis un respect universel assez complaisant et mièvre. Son plaisir est à redire des livres et à formuler des cours théoriques à l'usage du néophyte en veillant à ne pas s'éloigner de la mesure commune qui est la messe habituelle, ce qui se ressasse en variations éternelles sans disposer d'une idée à soi, en bonhomie un peu béate, mystique, orientale, sans controverse à laquelle on s'attache quand on ne tient à rien : il estime premièrement pour valeur la célébrité et s'accorde par principe avec tous les discours exposant le génie des écrivains-du-patrimoine. Il est à ce point favorable et prévenu qu'il ne donne pas l'impression de sélectionner ni même de vraiment lire : il dispose des avis du siècle, déjà rangés par cases et par ferveurs, les réexpose dans cet ordre canonique, semblant y insister et les réétablir avec assez de servilité, à sa manière à la fois bonne et naïve. Presque systématiquement, il répète les platitudes emphatiques des caudataires de la « littérature », sans méthode ni preuve, par évident parti pris, parti pris hérité de ce qu'au commencement d'un livre il est bien-disposé, pour ne pas dire conditionné, par les opinions mélioratives qu'il en a entendues ainsi que par l'avis général de la postérité. À la façon de presque tous les préfaciers contemporains, leur réflexion étant intrinsèquement moulée, si rompue à des usages qu'ils ne s'en aperçoivent plus et pensent exprimer leurs avis spontanés –, ses jugements sont viciés de préjugés à la d'Ormesson, bellâtre qu'il paraît apprécier et en qui, après avoir en lu une œuvre tardive, C'est une chose étrange à la fin que le monde, je n'ai trouvé pas plus que chez Chardonne avec qui je le confonds, aucun intérêt individuel sinon la vacuité-boomer-épate, et qui osait écrire des compliments aussi banalement outranciers et inexpliqués que : « Molière est probablement le plus grand poète comique de tous les temps. » (page 385) Sincère sans doute, Rafin n'en est pas moins porté par le lyrisme de vanter, tradition commune et qui rend populaire, comme dans le florilège suivant, dont les noms sont interchangeables, et dont la langue si douce servirait à introduire « convenablement » toutes les œuvres classiques d'aujourd'hui :

Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant