8.

0 0 0
                                    

Les Ombres du Passé

L'aube pointait à peine, ses rayons dorés se faufilant à travers les rideaux de soie de la chambre royale. Agnès était déjà debout, le sommeil l’ayant à peine touchée. La soirée précédente avait laissé une empreinte amère dans son esprit, les paroles de Gautier résonnant encore comme un avertissement. Elle savait que chaque geste, chaque mot devait désormais être calculé. Aujourd'hui, un thé était organisé en son honneur, une occasion d'affirmer son statut face aux dames les plus influentes de la cour.

Le grand salon était déjà animé par les préparatifs. Des domestiques, silencieux et efficaces, arrangeaient les derniers détails sous le regard vigilant d’Agnès. Elle portait une robe de satin bleu nuit, ornée de broderies d'argent qui captaient la lumière, créant un contraste saisissant avec ses cheveux sombres, relevés en un chignon élégant. Sa posture droite, son regard résolu, tout en elle respirait la détermination.

"Madame, le thé est prêt," murmura une jeune domestique, les joues encore rosies par l'effort.

"Merci," répondit Agnès, le ton ferme mais sans dureté. "Veillez à ce que tout soit en place. Aujourd'hui est un jour important."

Les premières invitées arrivèrent peu après, leurs robes bruissant doucement sur les dalles de marbre. Parmi elles, deux figures se détachaient : la duchesse de Beauvoir et la comtesse de Lorrène, des femmes dont l'influence et les opinions pesaient lourd à la cour. La duchesse, grande et sévère, portait une robe vert émeraude aux lignes austères, tandis que la comtesse, en robe pourpre, affichait une élégance flamboyante mais menaçante.

Agnès les accueillit avec la courtoisie attendue, un sourire léger sur les lèvres, bien qu'elle perçût immédiatement la froideur dans leurs regards.

"Majesté," dit la duchesse de Beauvoir d'un ton sec, son regard parcourant Agnès de haut en bas. "Vous êtes matinale. Un bon présage pour une longue journée."

"Les affaires d'État n'attendent pas," répliqua Agnès, son sourire se faisant plus fin. "Et vous, Duchesse, vous semblez en pleine forme."

La comtesse de Lorrène ne put retenir un léger rire, presque moqueur. "Nous verrons bien comment cette journée se déroulera, n'est-ce pas ?"

Le thé débuta, les conversations s’orientant d’abord vers des sujets légers : les dernières tendances à la cour, les festivités à venir, et les anecdotes sur certains nobles. Cependant, Agnès sentait une tension sous-jacente, une attente palpable. Les regards des autres dames, bien que respectueux, étaient empreints d’une curiosité mal dissimulée. Toutes attendaient que quelque chose soit dit.

Finalement, la duchesse de Beauvoir posa sa tasse avec une lenteur calculée, attirant l'attention de toutes les convives. "Majesté," commença-t-elle d'une voix qui semblait trancher l'air, "il y a un an jour pour jour, notre précédente reine nous a quittés."

Agnès ressentit un léger choc intérieur. Elle avait entendu parler de l'ancienne reine, bien sûr, mais uniquement en termes vagues et neutres. Rien dans ce qu'on lui avait dit ne laissait entendre que cette femme avait quitté ce monde. Les regards convergèrent vers elle, guettant la moindre réaction.

"Je ne savais pas que la reine était… décédée," répondit Agnès, prenant soin de maîtriser son ton. "On m'a simplement informée qu'elle avait quitté la cour pour des raisons personnelles."

"Des raisons personnelles, en effet," intervint la comtesse de Lorrène, ses yeux scrutant Agnès avec une intensité presque cruelle. "Mais il semble que certains détails ne vous aient pas été communiqués. La reine précédente a quitté ce monde dans des circonstances... troubles. Sa santé a décliné soudainement, et il y a eu des murmures, des soupçons..."

Agnès sentit un frisson lui parcourir l'échine. Pourquoi personne ne lui avait-il parlé de cela avant ? Pourquoi lui avait-on caché une vérité aussi essentielle ? Elle se rappela les paroles de Gautier la veille, sa mise en garde contre les illusions de sécurité. Était-ce de cela qu'il avait voulu parler ?

"Je regrette d'apprendre ces nouvelles ainsi," dit Agnès, choisissant ses mots avec précaution. "Mais je suis ici pour continuer son œuvre, pour assurer que le royaume reste fort et unifié."

La duchesse de Beauvoir inclina légèrement la tête, mais son regard restait perçant. "L'ancienne reine n'était pas seulement une souveraine, elle était un pilier de sagesse et de compassion pour le peuple. Son départ... a laissé un vide que beaucoup doutent que quiconque puisse combler."

"J'en suis consciente," répondit Agnès d'une voix égale, bien que son esprit bouillonnât de questions sans réponse. "Je ne cherche pas à la remplacer. Mais je suis ici pour régner, et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour protéger et renforcer ce royaume."

La comtesse de Lorrène plissa les yeux, comme pour percer les pensées d'Agnès. "Nous verrons si vos actions parleront aussi fort que vos mots, Majesté. L'ancienne reine a subi bien des épreuves aux côtés du roi, des épreuves que peu auraient supportées."

"Le roi est un homme de devoir, parfois dur, mais juste," dit Agnès, se rappelant les paroles qu'on lui avait dites à son arrivée. "Je ferai ce qui est nécessaire pour assurer l'avenir de la couronne."

La duchesse de Beauvoir poussa un léger soupir, son visage s'adoucissant un instant. "La précédente reine... elle n'était pas seulement une victime des circonstances, Majesté. Elle était aimée pour sa bonté, malgré tout ce qu'elle a enduré. Le peuple la voyait comme un symbole de résilience et de compassion. Elle n'était pas seulement une reine. Elle était un modèle."

"Et vous," ajouta la comtesse, "que comptez-vous faire pour gagner ce respect ? Ce n'est pas une marque mystérieuse qui convaincra le cœur des sujets, mais bien vos actes."

Agnès soutint leur regard sans ciller. "Ce royaume a ses règles, ses attentes. Je suis ici pour les respecter et les faire respecter. Vous parlez d'une marque, mais je suis ici pour gouverner avec sagesse et détermination. Mon légitimité ne réside pas dans des symboles, mais dans ma capacité à assurer la stabilité et la prospérité du royaume. Que cela vous plaise ou non, je suis la reine."

Les deux dames échangèrent un regard bref, évaluant la jeune souveraine. Il était clair qu'Agnès n'était pas au courant de toute l'histoire, mais elle refusait de se laisser intimider. La détermination dans ses yeux était un avertissement pour toutes les femmes présentes.

"Bien, Majesté," dit finalement la duchesse de Beauvoir avec un sourire presque imperceptible. "Il semble que vous ayez du caractère. Nous verrons si cela suffira à faire de vous une reine digne de ce nom."

"Le respect, Majesté," ajouta la comtesse de Lorrène, "n'est pas accordé à ceux qui le demandent, mais à ceux qui le méritent. Souvenez-vous en."

"Je n'ai pas besoin de le demander," répliqua Agnès avec un calme glacial. "Je l'exige, et je vous assure que vous comprendrez bientôt pourquoi."

Les dernières paroles tombèrent comme un couperet. Agnès savait que ces femmes l’éprouvaient, la jaugeaient. Mais elle ne fléchirait pas. Ce jour marquerait le début de son règne, un règne qu'elle mènerait selon ses propres termes, et personne, pas même les fantômes du passé, ne lui enlèverait cette conviction.

Les discussions se poursuivirent, mais l'atmosphère s'était modifiée. Agnès avait fait comprendre à toutes que, malgré les ombres qui planaient encore sur le passé de la cour, elle ne se laisserait pas écraser par les murmures et les intrigues. Son esprit était clair, son cœur résolu. Quoi qu'il arrive, elle se battrait pour son trône et pour son droit de gouverner. Et cela, aucune dame, aussi influente soit-elle, ne pourrait le lui contester.

EldoriaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant