Eldoria

9.

Un Souper sous Haute Tension

Le soir venu, j’ai descendu les escaliers du manoir avec une détermination farouche, mon esprit empli d'une seule pensée : je ne me laisserai pas dominer par Gautier. Je n’étais plus cette jeune femme naïve qui avait accepté cette union avec l’espoir d’un futur serein. Chaque marche que je franchissais m’éloignait un peu plus de cette illusion, et me rapprochait de la réalité glaciale qui m’attendait à la salle à manger.

Il était là, comme à son habitude, assis au bout de la table, imposant et distant. Ses yeux d’un gris métallique suivaient chacun de mes mouvements, cherchant peut-être une faille, une trace de l’angoisse qu’il espérait lire en moi. Mais je ne lui offrirai pas ce plaisir. Gautier, avec son aura de prédateur, n’avait plus sur moi le pouvoir qu’il pensait détenir. Je voyais clair à travers son masque : il n'était pas seulement un homme de pouvoir, mais aussi un être froid, calculateur, et sans la moindre once d’empathie.

Je pris place en face de lui, gardant un silence de plomb tout au long du dîner. Mais l’heure n’était plus aux hésitations. J’avais trop longtemps contenu mes craintes et mes doutes. Il était temps d’affronter cet homme pour ce qu’il était réellement, et de lui montrer que je n’étais pas une de ces femmes dociles et effrayées qu’il pouvait manipuler à sa guise.

Après quelques bouchées, je reposai mes couverts et relevai les yeux vers lui, le fixant avec une assurance que je sentais grandir en moi. « Gautier, » dis-je d’une voix calme mais ferme, « j’ai entendu des choses aujourd’hui. Des rumeurs au sujet de l’ancienne reine… et de ta première épouse. On te soupçonne d’avoir été impliqué dans leurs morts. »

Je vis une lueur d’amusement passer dans ses yeux, comme s’il s’attendait à me voir vaciller. Mais je ne lui en laissai pas le temps. « Dis-moi, Gautier, dois-je m'attendre au même sort ? »

Il posa son verre de vin, un sourire froid se dessinant sur ses lèvres. « Tu veux savoir si tu connaîtras le même sort qu’elles ? Peut-être. » Ses mots étaient calculés, comme s’il voulait me faire frémir, mais je restai impassible.

Je me penchai légèrement en avant, le fixant avec une intensité que je savais déroutante. « Peut-être, oui, mais ce ne sera pas toi qui décidera de mon sort. Je ne suis pas comme les autres, Gautier. Je n’ai pas peur de toi. »

Mon défi l’amusa visiblement, mais son amusement était teinté d'une froideur qui me répugnait. « Pas peur de moi ? » murmura-t-il, son ton glacial, « Tu devrais. Tu n’es ici que pour une seule raison, Agnès. »

Je fronçai les sourcils, mon cœur se serrant malgré moi. « Et quelle est cette raison ? »

Il se redressa légèrement, croisant les bras sur sa poitrine avec une nonchalance calculée. « La marque que tu portes, sur ton poignet. Elle est la seule raison pour laquelle tu as une quelconque importance. »

Je baissai les yeux vers la marque en question, un symbole ancien gravé dans ma peau depuis ma naissance, dont je n’avais jamais compris la signification. « Pourquoi cette marque est-elle si importante ? » demandai-je, cherchant à comprendre ce qu’il avait derrière la tête.

Gautier me fixa avec une intensité nouvelle, son regard devenant plus sombre. « Cette marque, Agnès, n’est pas qu’un simple dessin sur ta peau. Elle est le signe d’un pacte ancien, un lien entre notre lignée et des forces bien plus grandes que toi et moi. Elle symbolise un héritage, une dette contractée il y a des siècles, et que tu es destinée à payer. »

Il fit une pause, laissant le poids de ses paroles s'installer avant de continuer. « Cette marque te lie à un rituel qui doit se dérouler dans peu de temps, un rituel qui nécessite un sacrifice… de sang royal. C’est pour cela que tu as été choisie, Agnès. Tu es la clé pour sceller ce pacte, pour restaurer un équilibre qui a été rompu. Et une fois ce rituel accompli, ton rôle sera terminé. »

Mon sang se glaça à ses mots, mais je refusai de céder à la panique. « Un sacrifice ? » répétais-je, ma voix calme malgré l’horreur qui montait en moi. « Tu veux dire que je suis destinée à mourir pour accomplir ce rituel ? »

Il ne broncha pas, son expression toujours aussi indifférente. « Oui. Ta vie est le prix à payer pour maintenir le pouvoir de notre lignée, pour garantir que l’équilibre des forces reste intact. Sans ce sacrifice, tout ce que nous avons bâti pourrait s’effondrer. »

Un silence glacial s’abattit sur la pièce, mais je refusai de baisser les yeux. « Alors, c’est pour cela que je suis ici ? Pour servir de monnaie d’échange dans un pacte que je n’ai jamais voulu ? »

Gautier inclina légèrement la tête, une étincelle cruelle dans le regard. « Exactement. C’est ton destin, Agnès. Et il est scellé depuis bien plus longtemps que tu ne peux l’imaginer. »

Je sentais la froideur de ses paroles m’envahir, mais je refusais de me laisser abattre. « Peu importe ce que tu crois, Gautier. Je ne me laisserai pas mener à l’abattoir comme une simple victime. Si ce destin est réellement scellé, alors je trouverai un moyen de le déjouer. »

Il éclata d’un rire bref, sans joie, mais je ne fléchis pas. Derrière son masque de froideur, je pouvais sentir qu’il me prenait au sérieux. Il comprenait que je n’étais pas une femme à sous-estimer.

Lorsque je me levai enfin, je le fis avec une détermination inébranlable. Je savais maintenant ce qui m’attendait, et je savais aussi que je ne pouvais pas rester passive. Mon destin était peut-être écrit, mais il n’était pas encore accompli.

Quoi qu’il en soit, je me battrai jusqu’au bout.