Les Chroniques de Blauer - Rose - (Tome 1)

1. Vandlingen

13 octobre 1888, la pluie était déchainée, le tonnerre grondait sous les lumières étincelantes de l'éclair de cette soirée d'automne. Le vent faisait claquer les fenêtres vieillies du manoir de Blauer mais tout cela était caché sous la musique, les bavardages et les rires venant de la salle de réceptions des Vandlingen.

Ce soir-là, c'était le seizième anniversaire des jumeaux, Alexandre et Rose. Les proches, et moins proches, des Vandlingen étaient réunis autour de cette immense tablé, ils n'étaient pas moins d'une quarantaine d'invités, ou peut-être une cinquantaine, une petite partie de la famille Vandlingen était présente, ainsi que les amis d'Ulrich ou encore son architecte monsieur Wilfried Pohl. Ils étaient d'ailleurs là, debout, un verre de vin à la main, en train de festoyer sur le nouveau projet fou de monsieur Vandlingen.

Monsieur Vandlingen, bien qu'assez grand et svelte, paraissait petit et trapus aux côtés du grand et osseux architecte aux cheveux dégarnis. Ulrich était un homme ambitieux et charismatique, il avait hérité depuis quelques mois de cette grande bâtisse ainsi que du bois et des champs qui l'entouraient, il avait pour projet de rendre le village Blauer fructueux, il ferait du profit et deviendrait de plus en plus riche. Il avait grandi dans une vieille famille d'aristocrate, mais étant le treizième enfant d'une grande fratrie il était sans titre et n'avait pas réellement de fortune ni même d'héritage alléchant, seul ce vieux manoir défraichit et fade appartenant à un oncle célibataire et sans-enfant. Celui-ci était mort le printemps dernier, c'est ainsi que la famille Vandlingen possédait enfin une maison à eux dans laquelle ils emménagèrent quelques mois plus tard.

Blauer était un village anglais triste et maussade, le large bois entourait le propriétaire comme une cuvette et il fallait traverser une fine rivière d'un pont en pierre pour accéder au reste du village. Une grande partie des champs, vides et inoccupés, appartenait désormais à Ulrich Vandlingen, deux autres terrains appartenaient à des familles bourgeoises : les McLean et les Baker.

Eux aussi étaient présents à cette soirée, Madame Vandlingen n'avait pas perdu de temps, on l'entendait s'esclaffer de rire en commérant sur les rumeurs qui régnaient sur Blauer auprès d'Adélaïde McLean et Trudie Baker.

Anneliese était une femme imposante, elle n'était ni grande ni petite mais bien en chair, ses cheveux d'une couleur fade étaient noués en chignon, décoiffé par ses expressions. C'était une femme bruyante et bavarde, au regard pétillant et friand de commérages. Madame McLean et madame Baker étaient elles aussi passionnées de potins croustillants, la première, qui était la plus ancienne dans le village, conta comment l'ancien prêtre avait commis un adultère avec la bonne des Baker, elle s'étrangla de rire sous la grimace de Trudie, encore honteuse de cet incident.

Trudie était une petite femme rondouillette aux cheveux bruns enroulés dans une tresse qu'elle ne quittait jamais.

Quant à Adélaïde c'était une grande blonde, assez jolie et à la poitrine opulente qui faisait tourner les regards à tous les damoiseaux qu'elle rencontrait. Ce fut un coup de cœur amical entre ces trois bonnes femmes qu'on aurait pu croire, à s'y méprendre, des amies de longues dates.

Un peu plus loin dans la vaste pièce, les plus jeunes étaient en train de bavarder près de la cheminée sur les canapées de velours écarlate. Alexandre racontait ses exploits à Henley, ses talents de pianiste et ses multiples conquêtes sous les regards attentifs des plus jeunes, et des moins jeunes.

Rose, désintéressée par les fables de son frère, lisait près du feu. C'était une jeune fille assez jolie, ses cheveux d'un blond sombre et froid étaient toujours soit noués en chignon soit tressés, sa peau était fade, son visage inexpressif. Elle paraissait toujours dans ses rêves, la plupart du temps plongées dans ses livres ou dans un ouvrage de broderie. Elle était calme, silencieuse mais avait un esprit vif, malheureusement inexploité.