Les colères de Juliette sont aussi explosives que surprenantes. Bon... ce n'est pas de sa faute, elle est bélier. Après quatre ans d'amitié, je sais exactement comment réagir lors des situations d'urgence. Mais ça ne m'empêche jamais de ressentir cette pointe dans le ventre quand elle me retourne le regard acéré avec lequel elle me fixe depuis près de deux minutes.
Au milieu des conversations simultanées, elle cherche en silence quoi me dire après la tornade vivante à laquelle nous venons d'échapper... Malgré ses sourcils froncés et ses lèvres pincées, je suppose qu'elle n'est pas si énervée qu'elle veut me le faire croire.
— Donc... ça t'a plu ?
— J'ai adoré me rouler par terre et te voir faire des grimaces ridicules.
On pouffe. Une tête se cale alors entre nous. Roxane, la seule qui n'a pas besoin de se baisser pour arriver à hauteur de nos épaules. Avec son chapeau en feutre et sa robe noire cintrée, elle ressemble à une de ces filles qui posaient pour les magazines américains d'entre-deux-guerres.
— Vous venez avec nous, les nouveaux ? On va se faire un K.O !
J'ouvre des yeux comme des soucoupes. KO... ? Comme à la boxe ? Ah non, tout sauf du SPORT ! Pas après la fatigue accumulée auprès de Delombart. Souria s'appuie sur mon sac à dos, ce qui fait flancher mes genoux et coupe net toutes mes interrogations :
— Ouais, c'est notre rituel du mercredi...
Donc c'était une sorte de code secret, de technique spéciale de théâtreux... ?
— Genre... vous grimpez sur un ring pour vous défouler et « puisse le sort vous être favorable ? » glousse Juliette.
— Presque, renvoie la première.
Sitôt dit, elle sort son téléphone – une antiquité toute pixellisée avec des touches, je me demande comment elle accède à internet – et nous montre une affiche digitale dont la mauvaise qualité ne nous empêche pas de discerner un gros titre rouge et futuriste : « Kosmic Overworld ».
— C'est une... salle d'arcade ?
Petite grimace complice des deux anciennes élèves.
— En quelque sorte.
— Maintenant que vous êtes des nôtres, il faut bien vous initier !
Autour de nous, les différentes discussions s'amenuisent pour entendre notre réponse. Les oreilles se tournent vers Juliette et moi. Enfin... surtout Juliette, j'ai l'impression. Moi, je me concentre sur le panneau lumineux caché dans l'arrêt de bus. Cinq minutes avant le prochain départ. On doit se décider vite.
— Où -
Juliette passe son bras dans l'ouverture formée par mon coude et m'entraîne à la suite des autres filles. Mais... je n'ai même pas donné mon avis ! Et nos parents ? Je ne veux pas passer pour un sale gosse ! Je n'ai pas l'habitude de traîner dehors en pleine semaine. S'ils se mettent à penser que j'ai de mauvaises fréquentations, je risque d'être privé de tout jusqu'à ma majorité !
Tandis que mes nerfs succombent à la panique, ma meilleure amie ricane dans le creux de mon oreille :
— Détends-toi Loïc, tu vas faire une attaque.
La troupe forme une masse compacte sur le trottoir. Toutes avancent au même rythme, rapide, presque militaire. Personne ne prend la peine de regarder le chemin, c'est une démarche mécanique. Au milieu de l'euphorie d'une première sortie en groupe, je force Juliette à ralentir un peu.
— T'as pensé à prévenir tes parents, au moins ?
— T'inquiète, j'ai envoyé un message.
— Si je suis pas chez moi avant dix-neuf heures –
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Juliette Juliette(s)
RomanceAu lycée des Étourneaux, le professeur Delombart s'est fixé un objectif surprenant : monter la plus célèbre pièce de Shakespeare avec une troupe totalement féminine. Quand il place l'intrigante Ewen dans le rôle de Roméo, Juliette, fraîchement débar...