Je bois de petites gorgées pour essayer de faire durer le plus possible ce plaisir pendant qu'il m’entraîne vers une voiture qui nous attend. Il ouvre la portière arrière et m’aide à m’installer. Il fait chaud à l’intérieur. Le moteur tourne et le chauffage est allumé.
Un conducteur pivote sur son siège et m’accueille en français. Je ne parviens à répondre que d’un hochement de tête.
Martin referme la portière. Il échange quelques mots avec Me Laurent avant de faire le tour de la voiture pour s’installer près de moi. Une fois qu’il a bouclé ma ceinture de sécurité, il met la sienne puis le conducteur démarre.Je me repose contre l’appuie-tête et me tourne vers la vitre, remarquant les lumières qui ressemblent à une ligne floue et continue tandis que nous traversons la ville à toute vitesse, mais je ne distingue pas le paysage.
Pas vraiment.
_ Jacky.
Il attrape mon visage et les doigts de sa grosse main s’étalent sur mes joues pour me forcer à le regarder.
_ Leur as-tu dit quoi que ce soit ?
_ Tu peux te détendre, répliqué-je en m’enfonçant dans le siège, submergée de fatigue. Tu es tranquille.
Les muscles de sa mâchoire se crispent, formant des creux sous ses pommettes saillantes dans les ombres qui se promènent sur son beau visage, créées par les lumières qui se profilent à toute vitesse.
Un si beau visage.
Le visage d’un ange. Mais je ne dois jamais oublier que son cœur est démoniaque.
_ Je suis désolé que tu aies dû subir ça, dit-il en me caressant la mâchoire avec son pouce. Je n’imaginais pas que Farel allait faire un sale coup comme ça.
_ C’est fini.
Je tremble en pensant au mensonge que je viens de proférer. Ça ne finira jamais. Pas pour moi. Le lieutenant Farel et Martin ont une chose en commun. Ils sont tous les deux déterminés. Aucun d’entre eux n’abandonnera. Ce n’est que le début. J’essaie de me dégager, mais il ne me laisse pas fuir son contact ou son regard perçant.
Me tenant fermement, il me regarde droit dans les yeux. Trop intensément. Il en voit trop.
_ Je devrais le tuer, déclare-t-il avant de reprendre d’un ton plus doux, plus sérieux : Je vais le faire.
Je me raidis en entendant ces mots franchir ses lèvres, ces mots qui peuvent décider du sort d’un homme, puis jette un œil vers le conducteur. Martin lance cette menace comme s’il était un dieu, comme s’il avait le droit de décider qui vit et qui meurt.
_ Ne t’inquiète pas, dit-il en me lâchant enfin. Je le paie.
Il veut parler du chauffeur.
La peau me brûle à l’endroit où il me tenait le visage.
_ Il ne s’est rien passé, dis-je en terminant mon thé avant de regarder par la fenêtre. Laisse tomber.
_ Rien ? répète-t-il avec une pointe de colère. Tu trouves que ce qu’il s’est passé, ce n’est rien ?
_ S’il te plaît, insisté-je avec un regard implorant. Je n’ai pas envie d’en parler.
Un muscle se crispe sur sa tempe, mais il abandonne le sujet. Au moins pour le moment.Nous nous enfonçons dans la ville. Je n’arrive même pas à me résoudre à lui demander où nous allons. À ce stade, ça n’a pas vraiment d’importance. De toute façon, je ne peux pas changer ma destination encore moins mon avenir. Ce qui m’attend ne peut être pire que la manière dont le jour de mon mariage a commencé et s’est achevé.