C'était une nuit comme les autres. Tame, alors âgé de 14 ans, se trouvait sur le toit d'un bâtiment délabré, seul sous le vaste ciel étoilé. Il observait les étoiles en silence, ses yeux suivant leurs lueurs dans l'obscurité. Comme chaque nuit, les étoiles étaient sa seule compagnie, silencieuses, distantes, inaccessibles.
Il se voyait dans ces étoiles, brillant faiblement dans la nuit, mais invisible aux yeux de tous dès que la lumière du jour revenait. Il se sentait seul, isolé dans un monde qui ne voulait pas de lui, condamné à une existence éphémère, vouée à s'éteindre. Depuis toujours, il savait qu'il était destiné à mourir jeune. Ce sentiment, cette certitude d'être indésirable, d'être un intrus dans ce monde, était un poids lourd à porter, un fardeau qu'il ne souhaitait à personne.
Le savoir était pire que la mort elle-même. Vivre avec cette conscience constante que son existence était vouée à l'échec, que chaque jour ne faisait que le rapprocher de sa fin inévitable, était une torture. Il voyait autour de lui les gens se battre pour vivre, animés par cet instinct profond de survie, cette volonté de défier la mort à tout prix. C'est ce qui les rendait humains, cette peur de l'inconnu, de ce qui les attendait au-delà de la vie. Les religions elles-mêmes avaient été inventées pour cette raison : pour apaiser la peur de la mort, pour offrir une illusion de réconfort à ceux qui la redoutaient. Mais pour Tame, ces illusions ne fonctionnaient pas. La mort, pour lui, n'était pas une question de foi, mais une réalité inéluctable.
En tant que maître d'Essens, Tame avait eu un choix, du moins en apparence. Il pouvait vivre en tant que Rôdeur, servant un royaume qu'il méprisait, ou en tant que paria, traqué par ceux qui étaient autrefois ses semblables. La différence entre ces deux existences était mince. D'un côté, il vivait pour un chef égoïste, exécutant des ordres sans jamais questionner leur morale. De l'autre, il vivait pour lui-même, en fuite, toujours sur le fil du rasoir. Mais au final, la destination restait la même : la mort. Et cette certitude empoisonnait chaque pensée, chaque décision.
Tame détestait les Rôdeurs. Oh, comme il les détestait. Pour lui, il n'y avait pas plus lâche que ces chasseurs de primes glorifiés, traquant leurs propres frères d'armes pour gagner les faveurs d'un tyran. Ils étaient égoïstes, aveuglés par une utopie qu'ils ne comprenaient même pas. Les plus ignorants se battaient pour un idéal qu'ils ne verraient jamais se réaliser, tandis que les autres, ceux qui savaient, se battaient contre leur propre camp, conscients que leur vie était déjà fichue. Mais au lieu de défier le système, ils se contentaient d'accepter leur sort, préférant détruire la vie des autres pour préserver leur propre misérable existence.
Ce qui le révoltait le plus, c'était l'ironie cruelle de leur situation. Les Rôdeurs étaient eux-mêmes des maîtres d'Essens, mais ils traquaient sans relâche ceux qui, comme eux, possédaient ce pouvoir. C'était une chasse au sorcier menée par des sorciers. Ils avaient l'autorisation de vivre, mais uniquement tant qu'ils mettaient leurs dons au service de leur maître. Le jour où ils choisiraient de vivre pour eux-mêmes, de prendre leur destin en main, serait le jour où ils seraient chassés, exterminés comme des nuisibles. Pour ceux qui n'avaient jamais eu la chance de faire ce choix, leur sort était scellé dès le départ. Ils n'avaient jamais eu le droit de vivre.
Alors oui, Tame détestait les Rôdeurs. Il les détestait de tout son être, tout comme il détestait ceux qui les commandaient, ces dirigeants hypocrites qui manipulaient et trahissaient pour maintenir leur pouvoir.
Tame leva les yeux vers John, comprenant parfaitement la gravité des questions qui lui étaient posées. Une boule se forma dans son ventre, lourde, oppressante, à l'idée de devoir y répondre. Chaque mot qu'il prononcerait pourrait sceller son destin. Oui, il savait qu'il était voué à mourir, que sa vie ne tenait qu'à un fil. Mais malgré cette certitude, il n'était pas prêt à l'accepter, pas encore. Plutôt que de précipiter sa fin, il préférait jouer la montre, retarder l'inévitable, grappiller chaque seconde qui lui restait, même si cela ne faisait que prolonger une agonie inévitable.
VOUS LISEZ
Ostru: Fragments d'un Monde Déchu
Aventura25 ans après une apocalypse, l'humanité a basculé dans le chaos. Cette apocalypse, issue d'une guerre, a balayé la civilisation, laissant derrière elle des ruines et des terres ravagées. Avant cette chute, la majorité des êtres humains possédaient...