Une fois dans la chaleur du salon, je m’assure qu’elle soit confortablement installée avant de m’asseoir en face d’elle pour consulter mes courriels sur mon téléphone.
Pourtant, je n’ai pas la tête au travail. Toute mon attention est captée par la femme en face de moi. Elle regarde par la fenêtre, ça devient une habitude. Ce n’est rien d’autre qu’une tactique pour éviter de me regarder en face.
Un des matelots lui apporte une tasse de thé. Elle le remercie poliment et prend la boisson chaude entre ses mains. Faisant mon possible pour l’ignorer, j’ouvre la réponse codée de mon informateur. Les nouvelles ne sont pas bonnes.
L’enregistrement a été effacé. Il n’existe aucune trace de ce que Jacky et Farel se sont dit. Ça ne peut vouloir dire qu’une seule chose : Farel dissimule un truc.
Je pianote sur l’accoudoir en réfléchissant à la tournure des événements. Je vais devoir me montrer extrêmement prudent à proximité de ma femme. Je ne peux pas la laisser entendre quoi que ce soit qu’elle pourrait utiliser contre moi.
Vivre ensemble va devenir compliqué, vu que mes bureaux sont à la maison et que je discute et conclus la plupart de mes affaires à domicile. J’accueille beaucoup d’hommes haut placés dans diverses organisations criminelles. Leurs allées et venues au Ghana et en Corse sont à la fois vitales et sensibles.
À moins qu’elle ne s’avère être fiable à cent dix pour cent, ce qui, au vu des circonstances, me paraît hautement improbable, je n’aurai d’autre choix que de l’enfermer. Cette idée me noue l’estomac. Ce n’est pas ce que je veux ni ce que j’avais prévu. Loin de là. J’espère seulement qu’on n’en arrivera pas là.
Le crépuscule est déjà tombé quand le capitaine manœuvre le yacht dans la baie et le mouille près de la jetée. Les lumières extérieures sont allumées pour notre arrivée, dessinant une ligne luisante et dorée qui sinue sur la colline rocheuse.
J’essaie d’imaginer ce que ses yeux voient. J’ai toujours été fier de ma résidence secondaire. La beauté architecturale de la forteresse est indéniablement magnifique. Le jardin, avec sa piscine olympique, apparaît souvent dans des magazines de décoration extérieure partout dans le monde.
Sa position, isolée sur la côte déchiquetée en fait un joyau naturel. Je suppose que c’est plus facile de l’apprécier quand on y est invité pour un séjour. Pour une étrangère qui vient y vivre, elle doit paraître reculée, écrasante même.
Je prends la main de ma femme et l’aide à descendre la passerelle menant à la jetée. Ses yeux noirs scintillent en regardant vers la maison. Elle n'a pas eu l’habitude de vivre dans des demeures luxueuses , je la comprends.
D’épais faisceaux d’une douce lumière dorée venant de projecteurs disposés dans le jardin illuminent les tours et les remparts. Au loin, une lune pleine surplombe les vignobles.
Nous grimpons le chemin abrupt en silence. Les routes sont praticables, mais monter et descendre jusqu’à la plage devient difficile, sinon impossible, à un certain âge. Pour cette raison, je comptais installer un ascenseur.
Heureusement, ce n’est pas un projet auquel je dois m’atteler dans un futur proche. Pas avant que nous soyons tous les deux vieux. J’aime cette idée… vieillir ensemble. Élever quelques enfants.
Je regarde ma femme à la dérobée et remarque que sa poitrine se soulève et s’affaisse sous l’effort quand nous atteignons le sommet. J’imagine son ventre arrondi portant mon enfant.
J’imagine ce à quoi elle ressemblerait et un élan protecteur me submerge.
Je me ramollis en sa présence. Je dois faire attention.Erein ouvre la porte. Le capitaine l’a averti de notre arrivée.
_ Monsieur Asare, m’accueille-t-elle distraitement avant de tourner toute son attention vers ma femme. Madame Asare.
Elle la regarde d’un air radieux.
___ Bienvenue chez vous. Entrez. Vous devez être gelée après avoir passé toute la journée sur l’eau.
Jacky semble perdue quand elle lui prend les deux mains pour l’entraîner au chaud dans la maison. Des parfums d’origan, d’ail et de champignons flottent dans l’air.
_ Je vous ai préparé un dîner de bienvenue, annonce Erein en prenant le manteau de ma femme. Après tout, c’est un jour spécial.
Il faut le fêter.
J’observe la scène en silence, me débarrassant de mon manteau tandis qu’Erein parle de la pluie et du beau temps, ce qui permet à Jacky de retirer son écharpe et de trouver ses marques.
Quel genre de maîtresse de maison sera ma femme ? Sera-t-elle timide et trop craintive ou gaie et omniprésente ?
_ Par ici, dit Erein en invitant Jacky d’un sourire chaleureux à la suivre dans la salle à manger.
Elle me jette un coup d’œil par-dessus son épaule, l’air hésitant.
_ Venez, insiste Erein en entrant dans la salle à manger. Vous devez mourir de faim.
Jacky s’arrête net devant moi. Je la prends par la taille pour l’empêcher de trébucher. Son corps est chaud sous les vêtements, les muscles crispés sous mes mains.