Chapitre 30

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( TW : malnutrition, animal mort )

Amélie


Après avoir pris part à la manifestation, j'ai dû rentrer chez moi, car la police manifestait une certaine impatience à notre égard. Surtout en ce lieu emblématique à deux pas du Louvre, où les touristes affluaient en nombre... Cette expérience, aussi exaltante que éprouvante s'est achevée par le retour chez moi avec André, qui, tel un véritable gentleman, a veillé à ma sécurité.

Lorsque je passe le pas de la porte, la nuit est déjà bien avancée. Je salue mon frère d'un bref bonsoir, puis m'engage dans une routine qui m'apaise : un bon bain pour me délasser, avant de filer au lit. Cependant, une fois étendue dans l'obscurité, la douce impression de sa main dans la mienne refait surface.

Pour la première fois, cet après-midi, j'ai laissé André prendre ma main. Je ne l'ai pas repoussée, acceptant ainsi un geste rempli de sens pour moi. À cet instant, seule dans ma chambre silencieuse, mes pensées ne cessent donc de tourner autour de lui.

***

La nuit qui suivit fut pour le moins tumultueuse, marquée par le poids de ma solitude...

Et ce matin, je suis tirée de mes rêveries par la voix familière de mon frère, qui m'annonce qu'un appel m'attend. Sans hésiter, je me lève, enfile ma robe de chambre et me hâte de répondre. À l'autre extrémité du fil, j'entends Charlotte, ma fidèle amie, m'annoncer :

- Amélie.... Notre manifestation n'a pas marché.

- Comment ça ? Qu'est-ce que tu racontes, ma chère ? je demande, complètement sous le choc.

- Tous les médias ont censuré notre manifestation, Amélie. Personne ne parle de notre exploit, on a échoué, m'explique-t-elle.

- Ce n'est pas possible. Enfin, nous sommes allés sur la place la plus connue de Paris et nous avons même fait déplacer la police à cause du bruit ! Et ils osent faire comme si rien ne s'était passé ! Notre pays est une honte ! je déclare.

- Je le sais, chère Amélie. Le monde dans lequel on vit est cruel... Mince, mon mari vient de se réveiller, je dois te laisser ! Embrasse ton frère de ma part, dit-elle avant de raccrocher, me laissant seule avec cette horrible nouvelle.

- Charlotte te passe le bonjour et t'embrasse, dis-je à mon frère, totalement perdue.

- Ça va, Amélie ? me demande-t-il avec inquiétude.

- Ils ont censuré notre manifestation d'hier pour l'égalité homme-femme, je réponds, marchant comme un robot vers le frigo.

- Je suis désolé pour toi, ma chère sœur. Je suis sûr que la prochaine fois, ce sera la bonne. Ne t'en fais pas, dit-il pour essayer de me rassurer.

Alors que je soulage la porte du réfrigérateur de son fardeau, une image désolante se présente à moi : un abîme de vide. Notre frigo, jadis plein, n'est désormais qu'un espace désert, et cette vision troublante ravive en moi des réminiscences amères.


Flashback :

« Une fois de plus, le réfrigérateur se tient là, désespérément vide, tel un navire échoué sur une plage de désillusion.

J'ai pourtant confié à ma tante le peu d'argent que j'avais récoleté ce matin, espérant qu'elle se montrerait bienveillante et qu'elle nous approvisionnerait. Mais non, elle semble préférer utiliser mes maigres économies dans des parties de poker, persuadée qu'elle pourrait réaliser un coup de maître. Pendant que mon frère et moi, nous languissons dans la faim.

Mais même si je prenais le risque de rapporter la nourriture par mes propres moyens, ma chère tante s'emparerait de cette occasion pour m'accuser d'avoir soustrait de l'argent. Transformant ainsi cette situation désespérée en une nouvelle justification pour nous asséner des coups...

- Amélie, j'ai très faim, fais-moi à manger ! hurle mon petit frère.

Je me trouve alors face à un dilemme déchirant. Le vide de notre table est tel que même le plus simple des pains d'hier nous fait défaut. Dans cet état de dénuement abyssal, alors que la fatigue de la malnutrition assaille mes membres, mon regard tombe sur une souris, perchée sur le plan de travail.

Sans hésitation, je tends la main et enfonce mes ongles dans son petit corps frêle. Dans un dernier souffle émacié, la vie quitte le corps de l'animal. Mais en échange, elle offre pour moi et mon frère, la promesse de nous nourrir le temps d'un instant précieux...

Je prends une grande inspiration, une détermination nouvelle s'éveillant en moi, puis je saisis un couteau. Avec précaution, je tranche la tête et les pattes de cette créature insignifiante, avant d'ôter son pelage délicat.

Puis je la présente à mon complice de malheur, mon frère. J'aurais tant souhaité pouvoir la faire mijoter pour rehausser ses saveurs, néanmoins, l'absence de casserole nous contraint à consommer cette chair crue et froide.

Nous nous installons donc sur un coin de sol, entourant cette assiette qui, pour nous, scintille tel un festin. Chaque bouchée est avalée à la hâte, comme si le temps nous était compté, alors que le souvenir de jours sans nourriture pèse bien trop lourd dans nos âmes affamées."

La Pickpocket du Moulin RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant