6 juillet.
Je sors de ma dernière séance de rayons, du moins jusqu'à mon retour fin juillet.
J'ai souhaité de bonnes vacances à « la bête ». Quoique je doute qu'elle en ait. Quand j'y repense, c'est complètement dingue. Je me revois lors de ma première séance avec elle. Je me souviens des sentiments que j'éprouvais. La colère, le désespoir... la peur. Aujourd'hui, elle fait partie de mon quotidien. Je ne m'en suis pas faite une amie pour autant, mais je ne la méprise plus comme avant. Plus maintenant. Elle essaie de m'aider comme Madame Mouffoir ou les techniciens qui m'installent pendant les séances, mais aussi mon traitement le Temodal et toutes les vitamines ou autres cachets pour pallier aux effets secondaires.
En parlant de ma cancérologue, nous avons eu notre débriefing. Elle m'a fait promettre de prendre correctement ma prescription. Je l'ai fait sourire en lui disant que j'essaierai d'être une bonne élève. Elle a insisté pour que je l'appelle deux fois par semaine. Contrairement à moi, je la sens inquiète. Ça me touche beaucoup. Je sais aussi qu'elle se réjouit pour moi. Une dernière recommandation pour que je pense à m'adapter des temps de repos et je file dans les couloirs du service en saluant tous ceux que je rencontre sur mon passage. Au revoir machine à café ! Au revoir salle d'attente ! Au revoir bureau des infirmières ! Je ne peux pas m'en empêcher. Je me sens pousser des ailes. Ces trois semaines vont être parfaites et je ne veux penser qu'à elles. J'ai hâte.
Avant de rentrer chez moi pour boucler ma valise, je passe chez Fanny. Je connais le chemin sur le bout des doigts. Elle va me manquer. Terriblement me manquer. Ces deux derniers mois ont été difficiles pour elle. Les résultats de ses derniers examens étaient décevants. Ce nouveau traitement par voie oral l'a rendu complètement malade. Elle a dû aussi arrêter rapidement les rayons pour des séances de chimiothérapie. Elle en tient jusqu'à fin juillet. Les mois de mai et juin ont été ponctués entre mon protocole au service oncologie et l'aide que je pouvais lui apporter. Je lui devais bien ça. Et par-dessus tout, j'aimais passer du temps avec elle. Je comprends mieux aujourd'hui ce qu'elle avait voulu me dire : « les gens qui t'aiment ont aussi le droit d'avoir ce temps pour prendre ce qu'il y a à prendre de toi. D'emmagasiner des souvenirs, des images, des émotions... ». Elle avait raison et être près d'elle, me permet de le réaliser.
— Pars tranquille Kris, me dit-elle devant ma mine déconfite.
— Tranquille ? T'en as de bonnes toi !
Elle se tient, debout, près de son plan de travail et me prépare un thé.
— Regarde ! Je vais bien mieux puisque cette fois c'est moi qui te sers ! Est-ce qu'il faut que je te rappelle qu'il y a encore quelques jours tu te chargeais de le faire ? D'ailleurs, tu me dois des explications, ma belle ! Tu peux m'expliquer pourquoi je ne retrouve plus rien dans ma cuisine ? Et je ne te parle pas de mon dressing ?
— Ah oui parlons-en ! Ta gestion du quotidien est un vrai mystère !
Je m'étais redressé de toute ma hauteur les mains posées sur mes hanches. Elle se retourne surprise par le ton de ma voix. Bon OK ! Je l'avoue... en ce moment, j'étais un tantinet à cran.
— J'ai dû tout réorganiser et franchement, je ne comprends pas ta façon de faire ! Tout ce qui était de première nécessité, tu me l'avais collé en hauteur et évidemment, tout ce qui était inutile à porter de main. Donc... tu n'as pas intérêt à détruire mon merveilleux travail.
Elle éclate de rire. Un rire franc et sincère. C'est vrai qu'elle va mieux et ça me fait un bien fou. À ce moment-là, j'ai envie de pleurer de joie de la voir ainsi, plutôt qu'être avalée par son lit. Nous avons échangé de grands moments ces derniers temps. J'ai été son infirmière pour permettre à son mari d'aller travailler. Sa confidente... elle a aussi été la mienne. Sa femme de ménage... sa secrétaire... sa nounou pour aller chercher ses enfants. En fait, je faisais partie intégrante de cette famille. Un après-midi, son mari nous a même surpris dans le même lit, endormies. C'est un homme admirable et très amoureux de sa femme. Ma présence ne le dérangeait pas. Elle le soulageait certainement. Il ne me le confiait pas mais il n'avait pas besoin de le faire. Ses attentions à mon égard en disaient long. « Tu dois être épuisée toi aussi Kris », s'inquiétait-il régulièrement en me raccompagnant à la porte. « Ne t'en fais pas pour ça. À demain ». Il avait raison. Quand j'arrivais à mon appartement, le seul effort encore possible était de me jeter sur mon lit, avec la satisfaction du devoir accompli. J'en tirais aussi un avantage ; être bien trop occupée pour pleurer sur mon sort.
— Promis, je ne touche à rien. Mais c'est mon pauvre mari qui va être sous tension. Car si moi je ne retrouve rien, je n'ose même pas imaginer ce qu'il va vivre. Il avait déjà du mal avec ma propre organisation mais là...
— OK ! J'ai compris... Je vais lui faire un plan très détaillé de la maison et ce qu'il a à savoir. Et dis-lui de m'appeler s'il ressent des pulsions de meurtre contre une porte de placard ou une pile de tee-shirts.
Le silence s'installe.
— Tu sais qu'il t'aime beaucoup ? Et les enfants ne parlent que de toi.
— Tu as une famille formidable Fanny.
— Oui... je sais... j'ai beaucoup de chance. Et je t'ai toi, finit-elle en me gratifiant un clin d'œil.
Elle se lève et pose nos tasses dans l'évier.
— Tu m'appelleras ? Peut-être pas tous les jours. Mais...
Je me lève et la prends dans mes bras.
— Comment veux-tu que je me passe de mon coach ?
À ce rythme-là, je risque de passer plus de temps avec mon portable qu'avec ma propre famille.Mais à bien y réfléchir, elle en faisait aussi partie.
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Une année...le reste d'une vie
ChickLitKristelle voit son monde s'écrouler. Sans son autorisation, une tumeur s'est infiltrée dans son cerveau. Le verdict est sans appel. Il ne lui reste qu'une année à vivre. Sa première intention face à ce cataclysme est de ne rien divulguer à son ento...