Mes yeux ne quittent pas les siens, et je ne sais pas si je pourrai réellement me séparer de lui. Si je pourrais vivre en étant mariée ainsi, en faisant croire que je ne ressens rien... Je doute.
Mon cœur bat à tout rompre, nos cœurs collés battent à l'unisson, nous propulsant dans un autre monde, parallèle, où nous ne sommes pas obligés d'être séparés à cause d'un mariage voué à l'échec et de deux guerres meurtrières ; où nous avons été programmés à tuer le peuple de l'autre.
Antoine ne cesse de me regarder, je détourne le regard. Sa main passe sur ma joue et me force à lui faire face, il sourit, avec une tendresse que je ne connais pas, il me chuchote.
« Vous pouvez me regarder Elvire, jamais je ne vous frapperai, jamais. »
Ses paroles m'emplissent d'un trop plein d'émotions que j'ai du mal à contenir. Il est si... humain, bienveillant. Malgré cette gentillesse, elles me rappellent aussi à la réalité qu'est ma pitoyable existence. Je suis mariée, à un traumatisé de guerre devenu violent. Je suis mariée à un homme que je n'aime plus, qui lui ferait tout pour moi jusqu'à torturer quelqu'un. Je suis mariée oui... Je ne veux plus l'être, et je ne sais pas comment faire... Comment faire pour me sortir de cette toxicité ?
Le Commandant Verneuil me serre dans ses bras volumineux, autour de ma nuque, avec douceur. Je me blottis contre lui, contre son cou et son odeur musquée. Mes bras s'enveloppent autour de sa taille, je soupire, désormais incapable, fatiguée, exaspérée de pleurer, je me laisse juste aller. Aller à mes émotions. Ces émotions que je refoule depuis tant d'années, juste par principes, mais qui le saurait ? Je lève mes yeux vers le visage angélique du français, les posant également sur les miens, j'ignore la petite décharge électrique dans le bas de mon dos
« Embrassez-moi, Antoine. »
Ses prunelles s'écarquillent, il paraît aussi surpris qu'amusé dès qu'un petit rire nerveux s'échappe de ses lèvres. Il m'observe, luisant de désir aussi refoulé que le mien, sa main de velours passe sur ma joue, y laissant quelques frissons au passage.
« Ma chère, l'envie de vous embrasser ne manque pas, cependant je ne peux pas.
– Qu'est-ce qui vous en empêche ? Il y en a marre de rester fidèle aux principes, je veux vivre en faisant ce que je désire. Je sais que c'est mal, parce que je suis mariée, je crois que vous me l'avez assez répété ! Mais soyons honnêtes, je ne me suis jamais sentie aussi seule depuis que Rainer est rentré. Je ne suis plus que l'ombre de moi-même avec lui.
– Je pense que vous vous laissez emporter par les émotions, je...
– Non Antoine, laissez-moi terminer, je vous veux vous et personne d'autre. Depuis trop de temps pour que ce ne soit qu'un fantasme, je ne désire que vous, je vous veux plus que quiconque, je veux passer du temps avec vous, prendre soin de vous ! Rainer a tout fait pour que je m'éloigne de lui, pour que je le déteste, je ne supporte plus ça. »
Le soldat recule, éberlué par mes paroles que je n'aurais jamais cru pouvoir prononcer un jour. Comme quoi, c'est dès que notre âme est au comble de l'agonie que l'on se bat pour le peu qui nous rend bien. Son regard brille d'une lueur remplie d'espoir, un espoir que j'ai piétiné beaucoup trop de temps, pour rien. Il attend, il attend un je ne sais quoi qui pourra lui assurer que je dis vrai.
Je passe une main dans mes cheveux, remettant en place les quelques mèches rebelles. Je fais un pas vers lui, le suppliant presque de combler un minimum ce besoin ardent de lui tout entier.
« Je sais que ce que je vous dis, vous le ressentez également. La situation n'est pas à notre avantage Antoine, vous le voyez bien. Vous voyez autant que moi que je ne pourrai pas me défaire de mon mariage, une pauvre femme comme je suis ne peut pas divorcer. Je suis officiellement condamnée à rester avec un homme que je n'ai plus dans mon cœur depuis longtemps, juste parce que je suis une femme, et parce que je suis consciente que ça peut mettre en danger la Résistance. Mais... J'ai assez vécu dans la peur du jugement, de ce qu'il pourrait se passer... »
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Revers de Médaille
Historische Romane1945. La seconde guerre mondiale a arraché la vie à plus de 60 millions de personnes, tous les camps réunis. Mais elle a également détruit la vie à ses millions de personnes, qui ont perdu famille, amis, amour et y ont laissé une partie de leur âme...