LIV

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Faith

Une fois devant la porte de l'appartement, je me fige. Une vague de doutes me submerge, m'enserrant la poitrine. Que faire ? Frapper poliment, comme une étrangère ? Ou entrer sans hésiter, comme si cet espace m'appartenait déjà, comme si les murs de cet endroit avaient toujours accueilli mes pas ?

L'hésitation ne dure pas. Une étrange résolution s'empare de moi et, dans un geste qui me semble audacieux, je saisis la poignée. L'acier froid cède sous ma pression. La porte s'ouvre dans un léger grincement. J'entre. L'air de l'appartement m'enveloppe, familier et pourtant lourd d'une tension que je ne m'explique pas encore. Je referme doucement la porte derrière moi.

Et là, contre toute attente, je l'aperçois. Aaron. Nos regards se croisent, et l'espace d'un instant, tout semble suspendu dans ce salon baigné d'une lumière tamisée. Ses yeux s'écarquillent lentement, comme s'il peinait à croire ce qu'il voyait, tandis que mes sourcils se haussent malgré moi. Il est là, assis sur le canapé, aux côtés d'Alban.

Son regard me scrute, intensément, silencieusement, comme si en quelques secondes il essayait de sonder mon âme, de démêler les raisons de ma présence ici. Puis, dans un mouvement presque imperceptible, ses yeux se tournent vers Alban. Il cherche des réponses, des certitudes. Mais tout semble déjà mal interprété dans cette scène silencieuse.

- Non, Aaron, ce n'est pas ce que tu crois, intervient Alban.

Aaron arque un sourcil, et je me surprends à penser que ces expressions sont son langage, un mode de communication muet mais tout aussi expressif. Pourtant, je n'ai pas le temps de m'interroger davantage. Aaron commence à bouger ses mains.

Il pointe vers moi, dessine des formes dans l'air avec ses doigts, formant tantôt un cercle, tantôt un poing, puis replie ses doigts, ses mouvements se succédant dans un ballet étrange. Ses doigts se courbent, s'étendent, se plient à nouveau, et je reste là, immobile, mes sourcils froncés, luttant pour comprendre.

Alban, lui, semble tout saisir. Il hoche la tête, serein, comme si tout cela lui était évident.

- Oui, c'est bien elle, dit-il simplement.

Les mots flottent dans l'air, et un silence retombe. Aaron repose son regard sur moi, et je sens une douleur sourde se frayer un chemin dans ma poitrine. Mon cœur se fissure, se brise même, en mille fragments invisibles. En le regardant, je ne peux m'empêcher de revoir le visage de l'enfant qu'il était autrefois. Je le revois, courant dans la cour de ma maison, ses cheveux blonds virevoltant sous la lumière du soleil. Ses yeux, autrefois pleins de vie et d'innocence, bruns et lumineux, semblent aujourd'hui marqués par quelque chose de plus sombre, de plus profond.

Il y a dix ans à peine, il n'était qu'un enfant, joyeux et insouciant, partageant sa vie entre les rires et l'amour de ses parents. Et aujourd'hui, il se tient là, devant moi, privé de parole, privé de tout ce qui faisait son monde. Ses parents ne sont plus, son frère vit à des heures de route, et lui... lui survit, seul, en silence, à des kilomètres de tout ce qu'il a connu.

Et tout cela... par la faute de mon père.

Aaron détourne le regard, et je perçois, malgré ses paupières baissées, cette lueur indéfinissable dans ses yeux. C'est une tristesse voilée, mêlée à une confusion silencieuse qui semble chercher des réponses dans l'infini du passé. Le silence qui s'étire entre nous est assourdissant, lourd du poids des souvenirs, des non-dits.

Alban, sentant la tension s'élever comme une marée invisible, cherche maladroitement à briser cette étreinte oppressante.

- Faith, murmure-t-il doucement, Aaron ne t'en veut pas.

Forgotten MemoryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant