Chapitre 3

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   Lorsque je retourne dans nos appartements je souris à Amalia.

Lorsque vient l'heure de me faire belle une dernière fois je souris à mon équipe de préparation et à Morphée.

Lorsque je monte à bord du train pour le deux, je souris aux caméras.

J'étais très heureuse de vous rencontrer. Merci pour tout. A dans six mois. Que des mensonges.

Mais Hunter est juste derrière moi, il m'aide à garder la face. Et dès que je suis seule dans mon wagon, je ferme la porte à clefs et fond en larmes. Ma vie m'apparaît misérable d'un coup. mon meilleur ami est mort. Je suis devenue une meurtrière. Snow me prostituera pour le bon plaisir du Capitole.

Ma mère. Elle doit le savoir. Elle sait forcément. Et elle n'a rien dit. Et Zeke. Lui aussi se pourrait-il que Snow le manipule comme une marionnette?

Qu'allais-je faire?

Et soudain Hunter fut à nouveau près de moi . Caressant mes cheveux, rassurant mais le regard inquiet.

"La Vie. Respire La Vie."

-Non, non, gémis-je la tête entre les mains. Tu es mort! Tu es mort je t'ai vu mourir.

"Je suis toujours là. Je ne te laisse pas seule. Pas encore."

Je suis folle sans doute. Comme cette pauvre Annie Cresta. Rongée jusqu'à la moelle.


Amalia vient me chercher pour dîner dans le wagon restaurant. Le lendemain nous serons au deux autour de dix heures. Il y aura un banquet chez le maire après la réception, puis je devrai choisir ma propre maison au village des vainqueurs. L'estomac noué je ne peux grignoter que quelques tranches de concombre avec une sauce "tzatziki". Je sens le regard d'Ahren sur moi mais je n'ose pas relever les yeux sur lui, encore trop horrifiée parce que je viens d'apprendre.

Au bout d'un moment Amalia brise maladroitement le silence.

-Alors, de quoi voulait t'entretenir le Président? pépie-t-elle en coupant son rôti de porc.

Il y a un bruit de verre brisé et tout le monde se retourne: Ahren, blanc comme un linge, vient de casser son verre à vin. Pendant un instant je crois qu'il s'est blessé, je revois même le sang d'Hunter lui éclabousser le visage, puis je réalise que ce n'est que le vin rouge. Que du vin rouge.

-Enfin! s'exclame Amalia d'un air outré.

Après un regard furieux vers Saya qui garde un air coupable, Ahren est sorti précipitamment du wagon. Il sait très bien ce que m'a dit Snow. Parce que l'année dernière il a eu droit au même discours. Minus la protection de l'âge. Si Hunter avait survécu, il aurait sans doute commencé tout de suite lui aussi. Les femmes du Capitole se seraient battues pour ses traits angéliques et ses cheveux blonds. Cette pensée me donne envie de vomir et je quitte moi aussi le dîner.


Du sang. Une mare de sang, une piscine de sang. Je reconnais certains visages dans l'amoncèlement des cadavres sur lequel je me tiens. Loraleen. Jaffery. Ivy. Osten. Et pire que tout, Clancy, Laïley et Hunter, la gorge ouverte, leurs yeux fixés sur moi. Minuit deux. Je hurle et ouvre mes yeux.

Lorsque le train arrive en gare je suis épuisée. J'ai à peine dormi une heure cette nuit et j'ai préféré rester éveillée, sur mes gardes, après mon cauchemar. Amalia qui arrange mes cheveux s'énerve à cause de mes cernes bleuâtres et laisse à Saya le soin de les camoufler. Ahren n'est visible nulle part. Pendant que notre hôtesse part chercher ma tenue pour l'arrivée, je questionne ma mentor.

-Je ne l'ai pas vu depuis hier soir, avoue-t-elle. Mais je sais qu'il a passé un long coup de fil après le dîner. Au Capitole.

Je déglutis. Ahren essayait d'intercéder en ma faveur. N'allait-il pas plutôt aggraver les choses? Se mettre en danger?

-Écoute Leven. Ce que le Président t'a dit, les vainqueurs n'ont pas l'habitude d'en parler entre eux. Ne t'attend pas à ce qu'on te prenne en pitié. Ahren te couve mais je ne suis pas sûre que ce soit une bonne chose. Pour nous ce sera toujours les Jeux.

-Et toi? c'est ce qui t'es arrivée?

-J'ai eu plus de chance que toi, admet-elle avec un sourire. La personnalité que je me suis taillée pour l'arène, celle que tu as vu au Capitole et que tu vas encore voir en descendant tout à l'heure, n'était pas faite pour déclencher désirs et émois.

Je compare sa tunique noire cloutée, ses cheveux sombres fixés par le gel en pointes, à la délicate robe verte qu'elle portait la veille au dîner. Puis je revoyais Zeke et sa timidité excessive, alors qu'il aurait pu se pavaner comme un guerrier. Ma mère et ses crocs terrifiantes. Avait-elle fait ce sacrifice pour échapper à ce triste avenir?

Enfin Amalia revint avec ma robe, courte et rouge sang qui laissait voir mes mollets et mes biceps. Dans le miroir, je pouvais voir à quel point mes muscles avaient fondu dans l'arène et la couleur vermeille me donnait la nausée. Je n'aimais pas cette robe étrangère et mal taillée. Les beaux vêtements de Morphée me manquaient.

-Tu es prête à reprendre ton rôle Diane Chasseresse? me demanda Saya.

J'acquiesçais, la gorge sèche.

-Ouverture des portes dans deux minutes! fit Amalia, aussi excitée que si c'était elle qu'on allait acclamer.

Et soudain Ahren fut près de moi. Il ramena un mèche de mes cheveux en arrière, et passa  son médaillon autour de mon cou. D'un coup je n'ai plus peur.

-Ne t'inquiète pas, souffle-t-il, je m'occupe de tout.

Les portes s'ouvrent et j'entre dans la lumière.




                                 FIN LEVEN DEHLILAH LES 85è HUNGER GAMES

Leven Dehlilah : les 85èmes Hunger GamesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant