Ostru: Fragments d'un Monde Déchu

Chapitre 15

Ils naviguaient depuis presque une semaine, la fatigue et le stress accumulés par la constante menace des corbeaux chasseurs les avaient légèrement déviés de leur route, retardant leur voyage et accentuant l'anxiété de Dona.

Les vagues s'écrasaient contre la coque du bateau alors que Nim, les yeux mi-clos de fatigue, scrutait l'horizon à la recherche de tout signe annonciateur de danger. Malgré l'épuisement, leur esprit d'équipe leur permettait chaque nuit de surmonter les assauts répétés.

Itani, adossée au mât, tentait de récupérer le sommeil perdu, sa respiration rythmée par le balancement du navire.

John, vigilant à la barre, manœuvrait avec précision pour éviter les rochers cachés dans les eaux tumultueuses de la mer réputée dangereuse qui s'ouvrait entre deux imposantes montagnes.

Le paysage qui les entourait était d'une beauté saisissante, contrastant avec la tension à bord. Les montagnes, majestueuses, s'élevaient de part et d'autre, formant un couloir naturel par lequel ils naviguaient. Couvertes d'une végétation dense et luxuriante, elles arboraient des tons de vert éclatants qui semblaient presque surnaturels sous les rayons du soleil filtrant à travers les nuages épars. Tame, posté à l'avant du navire, était captivé par le spectacle ; ces montagnes, avec leur allure presque sculptée, évoquaient une œuvre d'art naturelle, une merveille qui lui faisait oublier momentanément les périls de leur périple.

Tame se laissa absorber par les récits légendaires qu'on lui avait contés autrefois, parlant d'un géant mythique ayant forgé les fondements de l'ancien monde et qui, selon la légende, se serait retiré dans les profondeurs de la terre. Ce même colosse aurait été à l'origine de l'Essens, cette force mystique qu'il aurait offerte à l'humain le plus vertueux de son temps, lui confiant la lourde responsabilité de veiller sur le monde.

Quelle ironie du sort pour ce géant, s'il vivait encore, de constater l'état actuel de sa création. Les désordres, les conflits et la corruption qui avaient érodé l'harmonie jadis orchestrée par sa main pouvaient bien le remplir de mélancolie. À travers le murmure des vagues et le frissonnement des feuilles, Tame pouvait presque percevoir le soupir d'un créateur désenchanté, désolé par la dérive de ses enfants terrestres.

L'idée qu'une entité si puissante puisse ressentir une telle déception humanisait d'une certaine manière le mythe, rendant la légende plus tangible, plus poignante. C'était un rappel poignant que même dans ce monde ébranlé, le rôle de chacun était de veiller à ne pas sombrer davantage dans le chaos, de respecter l'héritage de ceux qui, même fictivement, avaient espéré mieux pour l'humanité.

"D'ici quelques heures, nous devrions atteindre l'île," annonça Dona, se tenant près de John, une carte qu'elle avait elle-même dessinée à la main serrée entre ses doigts. Cette carte recélait des détails précis de chaque région. "John, il est crucial de ne pas se tromper de route. Si nous suivons le bon chemin, tout se passera bien. Mais le moindre écart pourrait nous être fatal," ajouta-t-elle d'une voix basse, marquée par l'inquiétude.

John la regarda attentivement, puis ses yeux se posèrent sur la carte. Avec un sourire rassurant, il tenta de dissiper les craintes de Dona. "Ne t'inquiète pas, Dona. Nous ne sommes pas venus si loin pour échouer maintenant," répondit-il en émettant un petit rire qui se voulait apaisant.

Cependant, la quiétude du moment fut brutalement interrompue. Tame, les poignets irrités par ses menottes, aperçut au loin des silhouettes d'oiseaux désormais trop familières. À chaque apparition, ces corbeaux semblaient rapprocher d'eux la tempête incessante qui les pourchassait.

"Ils arrivent !" cria-t-il en se précipitant vers un abri.

Les autres membres de l'équipage pivotèrent d'abord vers Tame, puis vers l'horizon menaçant. Itani, réveillée en sursaut par le cri, rechargea précipitamment ses armes, prête à défendre le navire avec l'efficacité qu'elle avait toujours montrée.