Prologue

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 - Je pense qu'on ne devrait pas rester plus longtemps ici, cet endroit ne m'inspire vraiment pas confiance. Je parie que nous sommes épiés par ces animaux carnassiers qui pourraient nous sauter dessus à tout moment pour nous déchiqueter en un rien de temps grâce à leurs griffes acérées... Et puis, de toutes façons, y a-t-il même une infime chance qu'il reste des survivants ? Cela va faire trois ans que l'explosion de 2504 a éradiqué la quasi-totalité de la faune et flore terrestre. Rien ni personne ne peut survivre sur une terre dévastée, radioactive et peuplée de créatures génétiquement modifiées en trois ans.

Exposés à l'ardent soleil du désert, sans ombre en plein milieu de la journée, même le vent ne pouvait pas rafraîchir les deux ombres se découpant sur les dunes au dessus desquelles le sable s'envolait, porté par le vent chaud de septembre, indissociable de celui de janvier, de mai ou de novembre depuis que l'écosystème terrestre avait radicalement changé, refaçonné par l'uranium et les radiations. L'autoroute qui avait servi il y a des années à des familles heureuses de partir en vacances n'était plus qu'une brûlante bande d'asphalte s'étendant vers l'horizon. L'homme qui venait de parler se tourna vers son collègue, plein d'espoir que celui-ci arrête de fouiller les décombres afin de rentrer au Centre. Mais, à son grand désespoir, celui-ci ne détacha pas ses yeux des débris qu'il était en train de déplacer, haussa les épaules de manière désintéressée et répondit d'une voix monotone :

- Les ordres sont les ordres. Tu n'as pas suivi un entraînement militaire pour t'enfuir au premier caracal qui apparaisse, n'est-ce pas ? De toute manière, à ce que je constate, tu n'as visiblement pas compris ce que nous cherchons dans cette mission : nous ne sommes pas venu trouver uniquement des survivants, mais également et surtout des cadavres. Avec un peu de chance, les scientifiques du Centre sauront les identifier et informer les familles du décès de leur proche.

- Les identifier ? répéta le premier d'un air à la fois dubitatif et moqueur. Cela fait trois ans, tu penses vraiment qu'on pourra identifier des squelettes mélangés au sable, au sang animal, à la terre et à l'uranium depuis trois ans ? Qui plus est, ils sont probablement tous déchiquetés par les crocs acérés des charognards créés par ces mêmes scientifiques censés les identifier ! On nous sort chaque fois l'excuse des familles qui attendent désespérément la vérité, mais leur apporter la confirmation que leur proche est bel et bien décédé dans l'explosion dont eux ont réchappé, n'est-ce pas leur enlever tous leurs espoirs, leur seule raison de vivre ? Ils voudront rejoindre cette personne, tout cela par notre faute, car nous exécutons les ordres sans discuter, comme de bons chiens à la botte des tout-puissants.

Son monologue sembla en apparence enfin porter ses fruits car son camarade arrêta de déplacer les pierres de l'amas de roches bloquant l'entrée d'une ancienne station service. Pourtant, il se tourna vers l'autre membre de son duo et le regarda avec des yeux sans doute ayant autrefois été remplis de larmes.

- Je ne fais pas les règles ; toi comme moi savons pertinemment que les faux espoirs font encore plus mal que la vérité. Malgré la douleur t'ayant brisé quand tu as appris que ta mère avait péri, alors que tu n'avais plus de nouvelles depuis trois mois, ce fut pourtant également une libération, mais tu peux me dire que je me trompe, si c'est le cas ! Peut-être aurais-tu préféré rester dans le déni, refusant de réaliser qu'elle s'était bel et bien fait réduire en morceaux de chair ensanglantée, comme lorsque tu es arrivé à la base de l'armée du Centre ? Ces familles attendent depuis trois ans, et tu étais déjà détruit mentalement au bout de trois mois. Te rends-tu compte de la force de ces personnes ? Elles vivent dans l'attente perpétuelle depuis trois ans et elle ne mériteraient tout de même pas de connaître la vérité ?

Il marqua une pause afin de reprendre son souffle. Sa voix s'était brisée sur ces derniers mots, et il ne voulait pas faire paraître la douleur qui persistait malgré ces trois années passées à essayer de surmonter son deuil. Il baissa la tête et essuya son visage du revers de la main, mais son camarade ne vit pas si c'était parce qu'il transpirait à cause de la chaleur ou s'il était réellement en train de pleurer.

- Nous sommes en 2507, Ray, continua-t-il. La technologie qui a détruit la majeure partie de la surface terrestre peut encore être utilisée à bon escient. Si des scientifiques peuvent provoquer une explosion nucléaire assez puissante pour éradiquer 80% de la population mondiale, alors ils peuvent certainement identifier un cadavre caché sous des décombres depuis trois ans.

Ray baissa lui aussi les yeux, abasourdi par le ton agressif de son compagnon. Il se rappelait de ce jour où des gardes du Centre avaient toqué à sa porte pour lui annoncer que, de la seule famille qui lui restait, ne restait qu'un amas d'os sanguinolents retrouvés dans le repaire d'une des bêtes créées par le gouvernement alors en place, destitué après l'explosion nucléaire de 2504. Qui plus est, si huit milliards d'humains avaient été balayés par la puissance de la catastrophe, on n'avait plus aucune nouvelle des cinquante personnes faisant partie de l'expédition partie en 2500 pour Mars. Si le Centre avait fait preuve d'une efficacité remarquable pour rétablir les communications satellites, ils n'avaient trouvé aucun moyen de rétablir une connexion avec le vaisseau parti quatre ans auparavant. Ils étaient probablement morts, à cours de ressources alimentaires et, à ce jour, ils n'étaient sans doute plus que des corps sans vie, ne se décomposant pas à cause de l'absence d'oxygène, flottant dans le vide infini de l'univers. Comme quoi, l'entièreté de la technologie du monde pré-explosion n'avait mené qu'à d'importantes pertes humaines.

- Hey ! Y a quelqu'un par ici ?

Ray tourna la tête la tête. Tandis que lui ressassait le passé, son collègue Matys avait dégagé le passage vers la station service visiblement vide. Même s'il restait des pierres, il était aisé pour n'importe quel humain entraîné de franchir les roches qui auraient pu lui bloquer le passage il y a trois ans. Celui-ci rejoignit son camarde, s'écorchant légèrement les genoux sur les rebords acérés des rochers. Ce dernier continuait de crier afin de vérifier qu'il n'y avait aucun survivant dans la zone.

- Fais un peu attention, tu pourrais attirer des bestioles dangereuses en criant ainsi, rappela nerveusement Ray.

- Les bêtes rodant par ici ne sont ni agiles, ni intelligentes, à part ces horribles petits singes venimeux. Mais dans le silence du désert seulement perturbé par le sifflement du vent, aucun n'a développé une bonne ouïe, ils se concentrent sur la vue, répondit son compagnon en haussant les épaules.

Matys n'attendit pas son duo et continua d'avancer sur la surface goudronnée dont la peinture blanche avait été écaillée par ces trois années passées au plomb du soleil. Il continua sa route vers la boutique de la station-service, ouvrit la porte dont le carillon émit un léger tintement et disparut dans le bâtiment, quelques instants avant que la porte ne claque.

Il en ressortit quelques minutes plus tard, arborant un grand sourire que Ray n'avait que rarement, voire jamais vu. Celui-ci fut étonné par le changement soudain d'humeur de son collègue, passé de la colère et l'agressivité à l'euphorie pure.

- Ray, viens voir ça ! Il y en a un ! Il faut que tu m'aides à le transporter, Ray, il est vivant !

Project UMTCOù les histoires vivent. Découvrez maintenant