- 5 - La Liste

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Plongée jusqu'au menton dans le grand bain des femmes, Béryl se laissait dériver, les yeux mi-clos. Elle y était seule, à l'exception de Rochette qui l'avait accompagnée, et qui pour l'heure se tassait dans un coin du bassin en se demandant si sa présence n'était pas inconvenante. Béryl avait voulu emmener Agate, mais curieusement, elle ne l'avait trouvée nulle part.

L'eau délicieusement chaude caressait sa peau et emportait les soucis qui la rongeaient. Elle dormait mal depuis le Festival des Feuilles Écarlates, une journée qui avait été riche en émotions. Un peu trop même. Dont une en particulier dont elle se serait bien passée.

Contrairement à ce que son entourage espérait sans doute, Béryl n'était pas assez naïve pour ne pas reconnaître ce sentiment qui avait soudainement fait battre son cœur plus fort. Or elle n'en voulait pas, à aucun prix. Ce n'était qu'un obstacle à la voie qu'on avait tracée pour elle.

Elle toucha du bout des doigts les gros carreaux de faïence bleus, blancs et turquoise qui dessinaient des fleurs sur les parois du bassin. Elle devait réfléchir rationnellement. Quelqu'un lui avait-il déjà fait ressentir semblable émotion ?

Elle se replongea dans ses souvenirs. Surprotégée par son entourage, elle avait peu fréquenté les enfants de son âge, à l'exception de Jaspe. Par la suite, personne ne lui avait jamais adressé de lettres enflammées ou de regards brûlants. Et lorsque les jeunes gentilshommes du royaume avaient commencé à l'aborder avec une idée bien précise entête, elle les avait vus venir de si loin que leur cour s'était avérée d'un ennui mortel. Donc la réponse était évidente. Non, elle n'avait jamais vraiment aimé.

Ici, dans ce royaume étranger, tout était plus intense. Tant de choses étaient à découvrir. Cet inconnu qui lui avait tant fait peur s'était révélé plein de surprises agréables, en dépit de quelques autres, plus rares, qui l'étaient moins. Ici, les gens ne la considéraient pas comme une poupée fragile, ce qui la poussait de plus en plus à sortir de son rôle. Finalement, n'était-elle pas juste en train de tomber amoureuse de son nouveau pays ?

Elle prit une grande inspiration et plongea la tête dans l'eau, laissant ses cheveux s'étaler à la surface comme une flaque d'or roux. Le festival et le tournoi avaient été si excitants. Avec la quantité de sucre qu'elle avait eu dans les veines, il n'était pas étonnant que le mélangeait donné un résultat détonnant. Voilà tout. Nul besoin d'aller chercher plus loin.

Satisfaite de la conclusion de ses réflexions, elle émergea.

— Votre Altesse !Votre Altesse !

Rochette l'attrapa vigoureusement par les épaules pour la sortir de l'eau.

— Rochette ! protesta Béryl en se dégageant. Que t'arrive-t-il ?

— Vous m'avez fait peur !Je ne vous voyais plus remonter !

— Je réfléchissais.

— Sauf votre respect, il me semble qu'il y a de meilleures façons de réfléchir, grogna Rochette qui retourna dans son coin, mécontente.


Lorsque Béryl quitta le bassin, un massage pratiqué par des mains expertes acheva de dissoudre ses préoccupations. Elle se sentit revigorée, prête à supporter la cour molle de Saule, et qui sait... peut-être même de prendre une ou deux initiatives.

Quatre gardes les attendaient à la sortie des bains. Depuis la manifestation des contestataires religieux, la présence armée autour d'eux s'était renforcée.Elle avait su les oublier le jour du festival, pourtant ils avaient été partout. Si être accompagnée dans chacun de ses déplacements mettait Béryl mal à l'aise, elle remarqua vite que Rochette, elle, en paraissait ravie.

Conte de l'Aube et du CrépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant