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ISAIHA

Jayna- C'est toujours mieux quand c'est vide... On se croirait dans un château.

Sa veste en cuir dans une main, son sac de la même matière dans l'autre, elle relève les yeux vers le plafond et s'avance au milieu de la salle, tournant lentement sur elle-même. Ses cheveux, légèrement ondulés, suivent le mouvement, comme s'ils savouraient une liberté retrouvée, valsant dans cet espace qui a sûrement vu des milliers de danses se succéder.

Sa robe rouge dont le bas était léger volatile, se laissait elle aussi mener par ses gestes. Comme si elle venait de découvrir la salle pour la première fois, son regard illuminé d'une lueur admirative scrutait chaque recoin de l'endroit.

Un manoir assez vieux dont seule la salle de réception a été rénové pour en faire un lieu d'accueil. Un endroit sans grande valeur qui rassemblait pourtant les personnes les plus aisées.

Ici, les plafonds sont décorés de fresques inspirées de la chapelle Sixtine, avec des moulures rappelant les appartements haussmanniens. C'est un assemblage de copies sans âme qui donne pourtant à la salle un air royal, presque époustouflant quand le piano se met à résonner sous les doigts d'une inconnue au visage masqué. Mais derrière les apparences, tout n'est que ruine et abandon.

Le fait que je puisse vivre sous les toits de cette bâtisse en est la preuve.

Jayna- Personne d'autre que toi ne vit ici ?

- Nan, j'suis l'seul.

Jayna- T'as pas peur ?

- Peur ?

Jayna- Hm... Être seul dans un grand bâtiment un peu reculé du reste de la ville. Imagine qu'on essaie de s'introduire... Qu'est-ce que tu fais ?

- J'appelle la police, comme tout le monde.

Elle quitte le plafond des yeux pour les poser sur moi, se rapprochant légèrement.

Jayna- Permets-moi d'en douter.

Je me détache du mur, m'avançant vers le centre de la salle sans sortir les mains des poches de mon jogging. Je longe le mur, maintenant volontairement une certaine distance avec elle.

Et pour cause, il y a de quoi douter de mes mots.
De tout ce que je dis, à vrai dire.

- Qu'est-ce que tu es venue récupérer ?

Jayna- Ah oui... J'avais presque oublié pourquoi j'étais là.

Elle tourne les talons sans répondre directement à ma question, se précipitant vers l'arrière de la scène, là où l'accès aux loges est caché derrière d'épais rideaux écarlates.

Je ne bouge pas, profitant de cette accalmie pour observer la salle à mon tour. Cela fait des années que je vis ici, et bien que mes yeux aient exploré chaque coin de cet endroit, j'ai toujours l'impression de le redécouvrir.

Pourtant, il me suffit de fermer les yeux pour que mon esprit recompose chaque détail. Comme une toile peinte ou un croquis d'architecte, tout est gravé dans ma mémoire. Au point où je suis sûr que même privé de la vue, je pourrais m'orienter sans difficulté.

Une faculté que papa a commencé à nous enseigner durant notre jeunesse à mon frère et moi mais qui a finalement été approfondi lors de mon long séjour chez les Milenkov.

CaméléonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant