Le premier matin en Hassadie fut une expérience inoubliable pour Bala. Après tant de temps loin de sa terre natale, se réveiller à même le sol, courbaturée, affamée et un peu malodorante à cause de la longue marche de la veille lui apportait bien plus de bonheur qu'elle ne pouvait le décrire. Quelqu'un s'était assuré pendant la nuit, que son voile reste en place et la veste kaki qui lui servait de couverture lui indiqua qu'il s'agissait de Kamra. Elle balaya la pièce exiguë des yeux mais ne trouva aucune trace des trois autres, ni même de leurs sacs. Une vague de terreur la submergea. Étaient-ils partis sans elle ? Elle ne s'était pourtant pas plainte de tout le trajet et s'était assurée que leur trajet ne soit pas pesant, en restant avec Qadir. Si celui-ci l'avait abandonnée, elle remuerait ciel et terre pour le retrouver et le frapper ! Et Zayn par la même occasion ! Et Kamra...non, à la réflexion, Kamra était beaucoup trop intimidante pour qu'elle se risque à lui décocher ne serait-ce qu'une seule pichenette.
Elle rassembla le peu d'affaires qu'elle avait et poussa la porte, prête à courir sur la route en espérant pouvoir rattraper les autres. Le soleil l'aveugla quelques secondes et elle porta une main à ses yeux pour les protéger. En plein jour, le village paraissait encore plus désolé et triste, montrant les déchets abandonnés que la nuit avait cachés. La nature reprenait ses droits en grignotant tout sur son passage, des enclos qui abritaient autrefois les bêtes, aux maisons dont les murs étaient tapis de lierre grimpant. Les quelques chemins avaient été effacés, recouverts par des herbes sèches. Cette vision lui serra le cœur et elle ne put s'empêcher d'imaginer le pire pour sa propre région, la Saria. Là-bas, il n'y avait pas les plaines et le bétail, ni même les hautes montagnes d'Asyr mais sa région était une terre fertile et fruitière avec une végétation luxuriante et des lacs à foison, abritant des plantes rares que les autres royaumes s'arrachaient autrefois à prix d'or. Qu'était-il advenu de sa maison ? De ses terres ?
Des éclats de voix détournèrent son attention. Elle se faufila jusqu'à ce qui était autrefois la place centrale du village et qui n'était aujourd'hui qu'un amas de pierres, de terre battue et de bois. Autour du puits qu'ils avaient dépassé la veille, ses compagnons étaient rassemblés, puisant de l'eau à tour de rôle. Le plus surprenant était la vieille femme devant eux, les bras croisés, qui semblait les surveiller scrupuleusement. Sa robe beige était miteuse, tachée et déchirée sur le bas et le châle brun qui recouvrait ses épaules était bien trop fin pour être d'une quelconque utilité en hiver. Bala vit les rides qui marquaient profondément son visage brun tandis qu'elle s'approchait.
-Vous auriez dû vous épargner cette peine, dit la vieille femme, ce puit n'est plus utilisé depuis une dizaine d'années maintenant, le vider ne sert à rien.
-L'eau stagnante est dangereuse, répondit Zayn, le visage rougi par l'effort, et puisque nous l'avons rouvert, autant s'en débarrasser.
La vieille femme soupira et Bala eut un air de déjà-vu. Combien de fois Haytham avait-il jeté l'éponge face aux têtes de mules qu'étaient devenus ses protégés ? Elle savait d'expérience que, quand ils avaient une idée en tête, rien ne pouvait les en détourner et leur pauvre tuteur en avait fait les frais, s'arrachant les cheveux à chaque fois. Elle s'approcha de Zayn pour lui prendre le seau d'eau et les aider mais celui-ci la renvoya gentiment tenir compagnie à la vieille femme, murmurant qu'il n'en pouvait plus d'entendre ses remontrances depuis qu'ils avaient commencés. Qadir et Kamra grimacèrent en concert pour confirmer, ce qui la fit rire.
-Je continue de croire que vous auriez dû passer votre chemin sitôt le soleil levé...il n'y a plus rien ici pour des jeunes gens comme vous, cette terre n'est plus qu'une immense ruine.
-Qu'est-il arrivé à l'Asyr ? demanda Qadir en s'appuyant contre le bas du puits pour reprendre son souffle.
-La même chose que ce qui est arrivé à tout le royaume. Les versylvriens ont attaqué pendant le dernier jour de l'Oumm. Ils ont traversé l'Asyr et ont réduit tout ce qui constituait notre vie en cendre. Nos villages, nos bétails et même...même Kôr n'a pas été épargnée. Ils occupent depuis la forteresse, semant la terreur dans la région. Les gens ont fui vers les autres régions mais les soldats sont partout. Ces versylvriens sont des créatures sans âme et sans cœur !
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Les Héritiers de l'Hassadie : Le Chant des Khadymm (Premier Jet)
FantasíaEn 1485 alors que la Reconquista déchire l'Espagne, des dizaines de caravanes disparaissent mystérieusement pour être transportées dans un monde doté de magie : LantArda. Des siècles plus tard, les descendants de ces humains règnent en maître sur l...