Je ne savais pas comment on allait faire pour planter un hélicoptère volontairement et laisser penser au monde que c'était bibi dans le cockpit, mais, en même temps, ce n'étaient pas tellement mes oignons. Ce genre de détail technique, c'était pour les génies du mal chez Fuzzbang, pas pour moi. Moi, mon boulot, c'était de disparaître sans faire de vagues. Ils ont quand même fini par saisir ma baraque et mes voitures pour faire leur petit show. Et puis, j'aime autant vous dire qu'heureusement que je n'ai rien eu à payer de mon vivant (enfin de mon vivant, vous avez compris), parce que figurez-vous que Fuzzbang ne s'est pas occupé de tout. J'ai eu droit à une petite check-list de devoirs bien humiliante à réaliser avent le vrai faux crash et ma disparition. Dumas a dû se bidonner comme un empafé en m'imaginant traîner mon derche aux quatre coins de la ville. Quel fumier.
D'ailleurs, changement de sujet : j'ai vérifié, et « soudoyable », apparemment, ça ne se dit pas. Écoutez, je vous propose qu'on prenne l'avis de l'Académie française, qu'on l'imprime sur un rouleau de PQ, et qu'on aille se taper un resto indien noté une étoile. Parce que chez moi, « soudoyable », ça se dit et basta. D'ailleurs, si vous vous sentez l'envie d'aller vérifier si un dico vous autorise à jacter comme bon vous semble, je vous conseille de caler vos burnes à la page « J » et de claquer le bouquin d'un coup sec. Ça ne servira à rien, mais vous vous sentirez un peu vivant.
Première étape de la liste, réserver le vol. Fuzzbang avait insisté pour que ce soit tel vol, tel jour, telle heure. Pas moyen de dévier d'un iota. À croire qu'on organisait le mariage du prince héritier du Mécouyanbar et que j'étais la demoiselle d'honneur. Evidemment, c'était impossible de réserver avec un coup de bigot, il fallait absolument se rendre à l'aérodrome de Sauciflard-les-Olivettes en personne pour dire que je voulais faire un tour de copter deux jours plus tard. C'était suffisant pour que je veuille transformer ma fausse mort en authentique encastrement express dans un platane, mais j'ai gardé mon calme. Après tout, ce n'est pas tous les jours qu'on se prépare à mourir pour de faux.
Il y avait un petit local de réservation à côté de l'aérodrome. Le local de réservation, c'était un cube en préfabriqué couleur gerbure. Fallait attendre sur une chaise premier prix et la clim était en panne. Ambiance sauna libertin pour clodo. Malgré tout, je dois vous avouer que j'ai failli avoir de la peine pour le pauvre type à qui j'ai réservé le vol. Mettez-vous à sa place une seconde : vous vendez un baptême de l'air, et trois jours plus tard, vous recevez l'avis de décès du zigue sur votre bureau. Certains sont devenus accro à la chartreuse pour moins que ça.
J'ai changé d'avis quand j'ai vu sa ganache. Le morveux qui tenait le comptoir était un mélange alchimique entre Oblomov et le chien de Télé Z. Autant vous dire que ma compassion est partie chercher des clopes, et qu'elle est partie se faire une pétanque avec mon paternel. Plus mou du genoux, je crois que j'avais encore jamais vu. Je ne sais pas si c'est générationnel ou si c'était ce spécimen qui était un branleur mythologique, mais toujours est-il que l'envie de le secouer comme un prunier me gagna comme une envie de caguer. En même temps, fallait voir le bled. C'est pas dans la banlieue de Tartiflette-en-Feuillage qu'on dégote des acharnés du travail.
— Vous venez pour réserver un vol ?
— Non, je viens pour photocopier du sable.
Moment de nostalgie en plantant mon regard dans ses yeux, en tous points égaux à ceux de Bébert, le teckel nain de feue mon aïeule. Le môme n'a évidemment pas pigé la blague. Son cerveau a dû grincer des dents. Je n'aurais pas été surpris s'il s'était mis à baver. Comme Bébert quand il a cané d'une crise d'épilepsie.
— Euh... donc c'est pour un vol, monsieur ?
— Ouais, un vol, et si possible avec crash à l'atterrissage, que j'ai rétorqué, histoire de voir si y'avait encore une lueur de vie derrière ses rétines. Nada. La lumière était allumée mais y'avait personne à la maison.
Il s'est mis à pianoter sur son clavier comme si c'était une épreuve d'athlétisme. Fallait le voir, j'ai cru que son coeur allait lâcher sur l'épreuve du 500 touches nage libre. Je me suis dit que si je restais encore deux minutes dans cette salle d'attente couleur jaune pisse, j'allais fondre comme une glace oubliée sur le tableau de bord d'une bagnole en plein cagnard. Le môme finit par lever la tête, l'air triomphant, comme s'il venait de découvrir le feu :
— Ce sera bon pour jeudi. Un vol de trente minutes avec vue sur la vallée, ça vous convient ?
Ça me convient ? T'as pas idée, mon garçon. C'est du plus-que-parfait du subjonctif. Une petite balade de santé avant de m'écraser comme une mouche contre le pare-brise de la vie, pour renaître tel le phénix. Je hoche la tête, pas envie de le torturer avec une nouvelle vanne. Je signe les papiers d'un coup de patte, récupère mon billet avec un sourire en coin. Le genre de sourire qui te dit « c'est bon, j'ai officiellement réservé ma mort. »
C'était pas fini. La super liste de boy scout n'en était qu'au début. Le prochain devoir, c'était de passer au carrouf. C'est Dumas, qui, dans son langage châtié, m'a expliqué que pour que la police avale la pilule du « crash accidentel », fallait que ça semble crédible. Pour pouvoir dire que je menais une petite vie tranquille avant de faire un saut en hélico. Pas le genre de gars à planifier sa mort comme un pro. Il fallait donc des courses, des achats de monsieur-tout-le-monde, histoire que, quand ils fouilleraient mon frigo après ma disparition, ils trouvent de quoi se dire « ah oui, ce gars-là, il pensait à son dîner, pas à sa mort. » Genre des pâtes, des yaourts, peut-être même un petit avocat bio, pour bien montrer que je m'inquiétais de mes apports en fibres avant de finir en barbecue dans les montagnes.
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S'enfuir n'est pas mourir
HumorFrançois-Xavier, escroc sans scrupules, vient de franchir la ligne rouge. Pour échapper à la justice, son avocat tordu lui propose une solution radicale : changer d'identité. Après un passage sous le bistouri, voilà notre François-Xavier métamorphos...