Nous avions pris la route sans attendre après l'incident. Je marchais derrière Azelor qui fendait les bois à vive allure, farouche et taciturne. Aucun de nous ne parlait.
De temps à autres, il m'arrivait de lancer des regards en arrière dans l'espoir de surprendre les mouvements d'une ombre ou d'une silhouette familière venue me chercher.
Personne ne se montra.
Un peu plus tôt, mon guide avait sorti de sa besace une tunique en peau de bête. Quand je m'étais tournée vers l'étang pour me changer, j'avais remarqué les ossements qui jonchaient la rive, dissimulés sous des feuillages. Alors la terrible vérité avait pris forme dans mon esprit et, avec l'impression d'avoir barboté dans une eau rosée de sang, j'avais vomi de la bile.
La loutre m'aurait dévorée.
Mais elle m'avait promis un rêve ; et j'avais rêvé. Pouvait-on imaginer mort plus clémente ?
— Où est situé votre camp ? l'interrogeai-je, rompant le silence entre nous.
— Tu le sauras en temps voulu.
Le Faucon ne s'était pas départi de sa méfiance. Le regard vif, il avait l'air de s'attendre à ce que je m'échappe d'un moment à l'autre. Je me tus et n'insistai pas.
Nous fîmes halte avant la nuit aux pieds d'un talus naturel dans les bois. Nous n'avions pas cherché à discuter après notre première tentative et, à présent assise, les bras croisés autour des genoux, je regardais le mage s'affairer autour de notre camp de fortune. Dans le soleil couchant, la forêt avait l'air de s'embraser. La lueur sanguinolente nous parait de rouge.
Azelor tendait des fils entre les troncs d'arbres, auxquels il suspendait de minuscules anneaux faits de branchages – des pièges, me semblait-il. Tout en murmurant une incantation, il traça les contours d'un cercle sur lequel il versa un sable pailleté d'argent.
— Tout ça est vraiment nécessaire ? commentai-je, sans que me vînt une seule fois l'idée de lui proposer mon aide. Il ne m'est strictement rien arrivé les deux dernières nuits que j'ai passées seule...
— Parce que tu es une sorcière de Terre, répondit-il sans me regarder. La forêt masquait ton odeur et ta présence. Et les dryades veillaient sur toi.
— Quelles dryades ?
— Tu as trouvé refuge au milieu d'un peuplement de dryades.
Je réfléchis mais aucun souvenir ne me vint.
— Je ne les ai pas vues, dis-je d'une voix plate.
Il amena les fagots de bois qu'il avait laissés de côté.
— Eh bien, grâce à la Source, elles étaient là. Ce sont elles qui m'ont indiqué la direction que tu avais prise pendant le peu de temps où je me suis absenté. On peut dire que tu as vraiment choisi ton moment, ajouta-t-il dans un grognement qui reflétait son humeur.
Puis il frappa la pierre de son briquet qui crachota des étincelles.
Le feu ayant pris, avant de s'installer le Faucon procéda aux dernières vérifications. À la fin, il sortit un petit paquet de son sac qu'il me tendit.
— Il faut que tu manges.
Quand je levai la tête, je m'aperçus que ses yeux étaient fixés sur ma joue gauche. C'était là qu'Émïoka m'avait frappée deux jours plus tôt. Le sang y avait formé une croûte dont je sentais les reliefs sous mes doigts. J'ignorais l'aspect que pouvait avoir mon visage et, pour être honnête, j'avais cessé de m'en soucier.
VOUS LISEZ
La Désillusion | Tome 2 - Des racines et des ailes
Fantasy/ ! \ / ! \ Attention SPOILERS : Il est nécessaire d'avoir lu le tome 1 avant de poursuivre ! / ! \ / ! \ ----------------------------------------------------------- Lorsque Kaly renonce à l'Ordre, elle est loin de se douter du prix à payer...