Chapitre 22

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John, les mains crispées sur la barre, fixait l'horizon sans ciller. Il priait en silence pour que la fin de ce chaos soit proche. Le bateau était à bout, tout comme l'équipage. Chaque coup de vague qui s'abattait sur la coque menaçait de le briser. John le savait, ils ne tiendraient plus très longtemps. Mais il savait aussi que ses compagnons ne tiendraient pas non plus. Dona était sur le point de craquer sous le poids des voix qui l'assaillaient. Itani luttait encore, mais ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne replonge dans ses souvenirs tentateurs. Et quant à Nim et Tame, ils étaient dans l'eau, plongés dans un combat contre des créatures implacables. John ne savait pas s'ils allaient en sortir vivants, ni même s'ils reviendraient entiers.

Les vagues frappaient la coque avec une telle violence qu'il avait l'impression que le bateau allait se briser en deux. Chaque secousse faisait vibrer la structure, chaque craquement résonnait comme un avertissement. Il murmura une prière silencieuse, suppliant le navire de tenir bon un peu plus longtemps. Là, à l'horizon, il apercevait enfin la fine ligne qui séparait la mer des monstres de la mer paisible de Pisani. Cette ligne ne signifiait pas seulement la fin du carnage, mais aussi le début d'une possible paix. Ils mettraient environ quarante minutes pour atteindre le port de Pisani depuis cette frontière, et vu l'état dans lequel ils arriveraient, John était persuadé qu'on ne leur refuserait pas refuge. Pisani, malgré sa réputation d'être le village des exclus, était aussi un endroit où l'empathie pour autrui était plus grande que partout ailleurs. Les habitants avaient eux aussi vécu des épreuves terribles, et ils comprenaient ce que c'était que de survivre dans un monde qui vous rejette.

« Accrochez-vous ! » hurla John, sa voix perçant le vacarme des vagues et des créatures. « On est bientôt arrivés, ne vous laissez pas emporter par les monstres ! » continua-t-il en jetant un regard anxieux vers Dona, qui luttait visiblement contre les voix dans sa tête.

Dona se sentait sur le point de basculer. Les voix de ses proches, qu'elle avait longtemps enterrées dans un coin de sa mémoire, la hantaient de nouveau, réveillant en elle des souvenirs qu'elle aurait préféré laisser enfouis. Ces voix lui rappelaient qui elle était autrefois, avant qu'elle ne perde tout. Chaque mot murmuré par ses défunts la ramenait à ce moment où sa vie s'était effondrée. Elle serrait les dents, tentant de ne pas céder, de ne pas se laisser happer par ce passé qu'elle avait passé des années à fuir.

Pendant ce temps, Itani continuait à tirer, ses mains tremblant légèrement sous l'effort et la tension. Elle refusait de laisser les monstres gagner, même si elle sentait la fatigue peser sur elle. Son souffle était court, et chaque tir lui demandait une concentration extrême. La pluie martelait son visage, mais elle l'accueillait avec soulagement, car cette fraîcheur l'aidait à garder l'esprit clair, à ne pas sombrer dans les souvenirs douloureux qui tentaient eux aussi de la distraire.

Finalement, après quelques minutes qui semblèrent une éternité, le bateau franchit la ligne invisible. Les monstres, comme s'ils avaient atteint une frontière qu'ils ne pouvaient traverser, s'arrêtèrent brusquement, leurs silhouettes sinistres disparaissant dans les vagues noires. Le temps sembla se calmer d'un coup, la mer auparavant déchaînée s'apaisa, et les étoiles commencèrent à percer timidement à travers les nuages, illuminant le ciel d'une lueur douce et réconfortante.

Un soupir de soulagement collectif s'éleva à bord. Itani se laissa tomber sur le dos, son avant-bras couvrant ses yeux. Son corps tout entier semblait céder à la fatigue qu'elle avait longtemps ignorée. Alors qu'elle prenait conscience de la réalité – qu'ils avaient survécu, qu'ils avaient échappé à ce cauchemar – ses yeux s'humidifièrent. Des larmes coulèrent doucement le long de ses joues, incontrôlables. Des larmes de soulagement, mais aussi de tristesse, de chagrin profond. Car même dans cette victoire amère, elle ne pouvait s'empêcher de se rappeler ce qu'elle avait perdu. Les amis qu'elle avait considérés comme sa famille n'étaient plus là, et cette vérité revenait comme une lame plantée en plein cœur.

Ostru: Fragments d'un Monde DéchuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant