Elio se tenait face à l'océan, silhouette figée dans le crépuscule, tandis que les souffles impérieux du vent courbaient l'espace autour de lui. Les vagues, telles des mâchoires affamées, s'élançaient, furieuses et indomptées, s'écrasant en grondements sourds sur le rivage. Pourtant, il demeurait immobile, le regard fixe sur l'horizon où le ciel, austère et désolé, s'épousait avec la mer. L'univers, en cette heure où le jour déclinait, paraissait infini et terrifiant, pareil à une énigme que nulle pensée humaine ne saurait déchiffrer.
"Il te ressemble", songea Elio, captif de cette contemplation abyssale. "Il est terrible et pacifique."
Devant lui s'étendait la mer, vastité impassible et souveraine, miroir muet des angoisses de l'homme. Il y reconnaissait l'image même de son âme : fureur et sérénité en lutte perpétuelle. Chaque vague, dans son élan fracassant contre la côte, lui semblait résonner de ses propres conflits intérieurs, tantôt le bercement doux d'une paix éphémère, tantôt l'ouragan dévastateur de ses passions. L'océan, ainsi, lui murmurait ses secrets dans une langue étrangère et insondable.
Une voix, imperceptible d'abord, monta des abîmes de la mer, tel un souffle ancien éveillé des entrailles du monde. C'était un murmure, à la fois solennel et envoûtant, qui s'échappa des vagues enroulées dans l'obscurité.
— Je suis toi, résonna la voix, solennelle. Comme toi, je porte des gouffres insondables, des abîmes où nul ne pénètre sans y périr. Ceux qui m'ont défiée ont disparu dans mes flots sans retour.
Elio, saisi d'étonnement, fit un pas en arrière. Toutefois, il n'eut pas la force de détourner ses yeux de cette masse mouvante qui, étrangement, semblait l'appeler. L'océan, qu'il contemplait depuis des heures, devenait soudain plus vivant, plus proche, comme une conscience voilée d'ombres.
— Qui es-tu ? demanda-t-il, la voix étranglée par l'émotion.
— Je suis la mer... Je suis ton âme. Je suis ce que tu refuses de voir. En moi se reflètent tes pensées, tes tourments, tes rêves avortés. Je suis la part de toi qui oscille entre la lumière et la nuit, entre l'ordre et le chaos.
Un frisson parcourut Elio. Jamais il n'avait senti si intensément cette vérité qui venait de s'offrir à lui. Il portait en lui, comme l'océan, des monstres cachés dans les profondeurs, des forces obscures qu'il ne contrôlait pas. Sa fragilité humaine le confrontait, inlassablement, à cette lutte intérieure, pareille à la bataille éternelle que se livrent les éléments.
La voix, implacable et grave, reprit :
— Dans mes abîmes, les monstres vivent en paix, tout comme les démons que tu abrites en ton cœur. Ta colère se soulève en moi comme une tempête furieuse. Mais tout comme je peux déraciner un roc ou épargner un brin d'herbe, tu as en toi la puissance de détruire ou de sauver ce que tu chéris. N'oublie pas que dans mes vagues dévastatrices sommeille aussi la grâce.
Les mots de l'océan s'infiltraient dans l'esprit d'Elio comme le flux inexorable des marées qui rongent lentement le rivage. Il perçut alors l'évidence de ce lien profond entre la mer et lui-même : ce qui se soulève retombe toujours, ce qui dévaste finit par apaiser. La tempête, bien qu'inévitable, n'est jamais éternelle. Encore faut-il apprendre à naviguer parmi les tumultes sans sombrer.
Un calme soudain tomba sur les flots. Le vent, naguère violent, s'apaisa en un souffle léger. Le grondement sourd des vagues céda la place à un silence solennel, comme si l'océan tout entier avait suspendu son mouvement. Elio s'avança d'un pas, ses pieds effleurant l'écume légère, marbrée de lumière.
— Que dois-je faire ? murmura-t-il, ses yeux perdus dans les ondulations désormais sereines.
Un long silence suivit, où l'univers entier semblait écouter. Puis, doucement, la voix de la mer s'éleva à nouveau, aussi légère qu'un soupir.
— Accepte.
— Accepte que tu ne pourras jamais tout dominer. Comme la mer, tu portes en toi à la fois la tempête et le calme. Mais tu dois apprendre à écouter les murmures de tes propres vagues, sans te laisser engloutir par elles.Elio ferma les yeux, laissant le vent caresser son visage, comme une bénédiction discrète. En lui, une clarté nouvelle naissait. Il comprit alors que, tout comme l'océan, il n'était ni entièrement lumineux, ni entièrement sombre. Il était cette entité complexe, cette harmonie conflictuelle, capable de créer autant que de détruire. Les vagues de son âme, semblables à celles de la mer, montaient, rugissaient, puis revenaient à la douceur du rivage.
Quand il rouvrit les yeux, la mer était devenue un miroir limpide, reflétant les étoiles disséminées dans le firmament. Les nuages, chassés par les vents, avaient libéré l'éclat nocturne. Un faible sourire illumina les lèvres d'Elio. Il comprit alors la sagesse de l'océan : cette puissance implacable, cet être insondable, ne mentait jamais. Contrairement à l'homme, elle révélait tout, sans détours, dans une vérité à la fois brute et sublime.
Elio tourna les talons, une dernière fois, vers l'horizon infini. Il n'avait plus peur de ses propres abîmes, de ses tempêtes intérieures. Il savait désormais qu'il devait les accueillir, qu'il ne pouvait les fuir. Ainsi, il avança, non plus en résistance, mais en harmonie avec ces forces contradictoires qui l'habitaient.
Comme l'océan, il accepta enfin de laisser ses vagues le porter.
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Nouvelles perturbantes
Poetryici j'écris des nouvelles - de courte histoire --un mélange de poésie et de simplicité--