19h30. Il fait nuit. Déjà. Je ne veux pas rentrer, pas encore. Mes jambes maigrichonnes ont bien dû mal à me porter, comme tous les soirs. Elles se plaignent. Elles veulent arrêter d'être rouges, sanglantes, bleues ou bien violettes, si faibles. Elles veulent être coupées du monde, elles veulent être libres, et elles veulent être belles. Mon âme aussi est fatiguée. Elle cherche encore et encore ce petit coin de tranquillité, ce petit coin de bonheur, cet endroit merveilleux où nul ne peut s'échapper. Mes bras, faibles et pâles, puisent dans la petite flamme qui leur reste pour porter ces sacs. Ce qu'ils contiennent ? des bouteilles et des bouteilles, un peu plus chaque jours. Leur destination ? je ne sais pas encore, mais j'espère de tout mon cœur qu'elle est encore loin. En vérité, je ne veux pas les porter. Je n'en ai plus la force. Une fois, j'ai refusé, comme toutes les fois d'ailleurs, mais ça c'est toujours mal terminé. Fouet, gifles, coups de bâtons, une fois même un coup de couteau, et j'en passe. C'est ainsi que ma mère m'a élevée, c'est elle qui m'a rendue si disciplinée, si frêle et fragile. C'est elle à qui je dois la mort, mais c'est aussi à elle à qui je dois la vie. Alors, si on me disait de la détester, je la détesterai. Si on me disait de l'aimer, je l'aimerai.
Je suis une fille facile, apparemment. Une fille facile qui ne ressent rien. Je suis neutre, je suis vide. Ils appellent ça l'amour, la joie, la tristesse. Moi aucune de ces notions ne m'a jamais atteintes. Un jour, j'ai cru en frôler une, mais elle a rapidement changé de direction. Je ne comprend personne, on me le répète souvent. Il m'est souvent arrivé de pleurer. Très souvent d'ailleurs. Mais jamais les mots tristesse ou colère sont venus toquer à mon cœur.
Je ne veux pas rentrer et je l'ai déjà dit, mais si je pouvais le répéter sans cesse, je le ferai. Seulement, je ne peux pas. Que diront les autres, que penseront-ils de moi ? Mes cheveux gras, mes vêtements sales et abîmés, à la forte odeur de cigarette me dégoûtent moi-même. Mais voilà, ça, je n'y peut rien. Si les autres me critiquent, je n'y peut rien. Si les autres me rejettent je n'y peut rien. Si les autres me trouvent bizarre, je n'y peut rien. Je me répète, je sais, j'ai toujours trouvé les répétitions poétiques. Mais ça aussi, ça ne plaît pas. En tout cas, pas à la société. Ils disent qu'ils font de leur mieux pour aider, pour protéger, mais en vérité, que font-ils ? Rien. Eux, je déteste. Moi, je déteste. Séoul, je déteste. La vie, je déteste.
Le futur brillant qui en attend certains, ne cherche qu'à s'enfuir en déchiffrant le mien.Dans la rue, les gens parlent, rient, va et viennent. J'ai parfois essayé de les imiter mais sans succès. Désormais, je me tiens immobile. Les quelques lampadaires qui bordent la route on bien du mal à briller aujourd'hui. Mais néanmoins je me sens bien ici. Le fleuve Han, devant moi, m'offre un spectacle glacial dans ce froid hivernal. Seulement, lui m'invite à le regarder. Je pose délicatement mes sacs de bouteilles au sol. Finalement, j'aurai peut être trouvé ma destination. J'ai l'impression que ce moment est fait pour moi, qu'il m'attend. Le fleuve, reflétant les lumières aveuglantes des immeubles, semble attirer l'attention des regards, il semble être parfait. Dans une autre vie, j'aurai pu être ainsi. Belle, attirante, monopolisant l'attention. Ce sentiment, c'est l'envie. Je le connais, nous avons grandi ensemble, je me suis battue plusieurs fois avec lui. Il me connaît mieux que personne, malheureusement.
Le fleuve. Je sais ce qui m'attend si je le rejoint, je le sais pertinemment. Mais je sais aussi que mon malheur s'effacera, s'oubliera dans les profondeurs. J'enjambe la barrière de sécurité ( trop petite à mon goût pour être appelée "barrière de sécurité". Désormais je tiens en équilibre.
Mes pieds ne me soutiennent plus.
Mes jambes se dérobent.
Je me sens tomber petit à petit.
Pour une des premières fois de ma vie, je ne semble plus indifférente.
"Heureuse", je crois que c'est ça.
Mais je pleure.
Pourquoi ? Je ne sais pas.
Peut être si quelqu'un m'avait tendu la main, j'aurai pu m'envoler différement.
J'aurai pu découvrir les bons côtés de ce monde.
Des amis, j'aurai là aussi été "heureuse" si j'en avais eu.
Me faire oublier différement.
Mais ça n'a pas d'importance.
Plus rien n'a d'importance.Je pars avec le sourire, et maintenant vous pouvez m'effacer.