42- Je t'en veux pas

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- Tu ne vas pas nous juger, hein ?

- Ça ne m'intéresse pas tant que ça, rassure-toi. Je veux juste savoir la raison de ce changement dans vos comportements.

Jade ose enfin lever la tête et le regarder. Elle tourne ensuite la tête vers Heather.

- En fait, cette vidéo... Je... je la regardais plus que je ne devais. Et sans m'en rendre compte, j'étais... j'étais attirée par Jade. Ce n'est pas comme si je n'avais jamais vu de fille à moitié nue, mais... je sais pas... cette fois, c'était différent.

- Tu veux dire que tu es... homosexuelle ?

Elle lance un regard à Jade avant de hocher la tête. Je tourne la tête vers Jade. Ma bouche est restée ouverte de surprise.

- Toi aussi ? je m'adresse à Jade.

Elle me regarde, mais ne réagit pas. Je suppose que ça veut dire oui, mais qu'elle ne l'assume pas. Je n'aurais jamais cru que Heather puisse être homo, encore moins Jade. Ce n'est pas que je sois contre, mais Heather avait la réputation de la "pétasse" du lycée. La moitié des garçons disaient avoir couché avec elle.

- Je n'avais pas vraiment compris quand je m'en prenais à elle. Je crois que c'était le seul moyen pour moi d'être proche d'elle.

Elle regarde Jade en disant ça. Mes yeux passent de l'une à l'autre. Je suis sous le choc.

- Vous le savez depuis quand ?

- Je crois que je l'ai su quand j'ai commencé à coucher avec des garçons en troisième, répond Heather.

On se tourne vers Jade. Elle se rend compte qu'on attend sa réponse.

- Je viens de l'apprendre... je crois.

Je hoche la tête, commençant à assimiler ces informations. Je ne veux même plus savoir ce qu'elles faisaient dans cette cabine. Je vais me sentir de trop maintenant quand je serai avec elles, sachant qu'elles sont probablement en couple. Je termine ma bière d'une traite.

- Je suis contente pour vous. Mais je dois rentrer chez moi. À demain les filles.

Elles hochent la tête, et je quitte la table. Ce n'est pas si mal que ça, Heather n'embête plus personne, et Jade a découvert son orientation sexuelle.

Mon portable sonne quand j'arrive à ma moto. Je ne suis même plus étonnée, ni même énervée en voyant qui m'appelle. C'est juste chiant que mon père m'appelle de plus en plus souvent, sachant que je ne décroche presque jamais. Je ne sais pas pourquoi il insiste autant... Peut-être qu'il garde toujours espoir que je le pardonne ou que je le considère comme mon père. Ce n'est pas près d'arriver.

Le soir, après le dîner — avec une ambiance tendue, comme d'habitude — je me réfugie sur le toit. Je l'avais délaissé depuis que ça commençait à devenir intéressant entre Angel et moi. Je crois que je ne me sentais plus aussi seule qu'avant et donc je ne ressentais plus le besoin de venir ici. Mais là, j'ai besoin de me libérer, d'être vraie et de faire face à ce que je traverse. Alors, c'est les yeux braqués sur le ciel que je me lance dans mon monologue.

- Je crois que ça me fait plus mal que je ne veux l'admettre. Je m'étais déjà attachée à Angel. Mais je ne veux pas que l'amour et tout ce qui va avec s'ajoutent à mes problèmes. Même si je ne suis pas sûre de pouvoir aimer quelqu'un un jour... genre, réellement. Et il y a mon père qui refait surface. Ça aussi, je ne l'admets pas, mais ça me touche plus que je ne le montre. Une fraction de seconde, j'ai eu le sentiment d'être importante pour quelqu'un. Mais c'est faux, j'ai compris depuis bien longtemps que je n'étais importante pour personne. Je serai toujours la cinquième roue du carrosse.

Je n'arrive plus à penser quand mon corps est pris de sanglots. Je n'essaie pas de les arrêter. Je laisse couler ces larmes que j'ai retenues pendant des semaines et j'ai enfin l'impression de me sentir libre. Je sors de mes pensées quand mon téléphone émet une sonnerie. J'ai encore reçu un message d'Angel. Il me laisse souvent des messages, et je les lis à chaque fois sans jamais répondre. D'autres trouveraient ça insistant, mais moi, non. Je ne sais pas pourquoi.

• Laisse-moi être là pour toi.

Je relis plusieurs fois ces quelques mots avant que l'image de Stella me revienne en tête.

Il veut être là pour son ex, pas pour moi.

J'éteins la lumière de mon téléphone, mais une autre lumière attire mon attention de l'autre côté de la rue. Je fronce les sourcils en me rendant compte que la personne me regarde. Elle porte un sweat à capuche noir qui dissimule son visage. Je commence à avoir peur, mais mon téléphone émet une autre notification.

• Je peux monter ? Promis, je ne ferai pas de bruit.

Le message vient d'Angel et quand je regarde à nouveau la silhouette de l'autre côté de la rue, je vois qu'il a enlevé sa capuche. Qu'est-ce qu'il fout là ? Je lui réponds positivement et il traverse la rue puis grimpe jusqu'à moi en à peine une minute. Il s'installe à ma droite et lâche un long soupir avant de fixer l'horizon. Et moi, c'est lui que je fixe. Merde, il est beau, et ses cheveux blancs lui donnent un air innocent.

Il tourne enfin les yeux vers moi. On se regarde quelques secondes sans qu'aucun de nous ne parle. À ce moment, je ne pense plus à Stella ni à mes parents. Juste à ces beaux yeux azur qui me fixent avec une lueur que je ne peux décrire. Je me mords involontairement la lèvre inférieure, ce qui attire son attention. Alors je détourne le regard.

- Qu'est-ce que tu fais ici ?

- C'est à cause de moi que tu pleurais ?

- Bien sûr que non.

Un peu quand même.

Mais je ne me l'avouerai jamais, et encore moins à lui. J'évite de le regarder, mais je sens son regard sur moi.

- C'est vrai, au début, je me suis intéressé à toi pour votre ressemblance. Mais je me suis rendu compte au fil du temps que vous êtes très différentes.

Je ne dis rien et regarde dans le vide. Maintenant que j'ai les idées claires, je sais que ce n'est pas à lui que j'en veux, mais à moi-même, pour ce que j'ai pu croire. Mon problème, ce n'est pas le fait de ressembler à Stella. C'est d'avoir encore ce sentiment de passer pour une seconde option. Je n'ai jamais été la priorité de personne, même pas de mes parents, et pour une fois, j'ai cru l'être avec Angel.

- Toi, tu es tellement... mystérieuse. Tu as cette carapace qui empêche les autres de t'atteindre, et même si je ne l'ai pas encore franchie, je sais qu'elle cache une bonne personne, sensible, douce et gentille. Donne-moi la chance de connaître la vraie Star. Je ne veux pas que notre histoire s'arrête comme ça.

Notre histoire...

Un rictus apparaît sur mon visage. Il n'y a pas de "nous". Je ne crois pas en l'amour et j'espère ne jamais tomber dans ce foutu piège. Je me redresse avant qu'il ne continue de raconter ces conneries.

- Rentre chez toi, Angel.

Je n'attends pas sa réaction et descends dans ma chambre.

Première quête Où les histoires vivent. Découvrez maintenant