Les Héritiers de l'Hassadie : Le Chant des Khadymm (Premier Jet)

Chapitre IX-Un retour sans fanfare /Zayn

      Pendant des années, Zayn avait imaginé son retour en Hassadie, dans sa région natale, Zulheia. Il avait passé d'innombrables nuits à veiller par la fenêtre de sa chambre, les yeux rivés sur la forêt, imaginant, à la place du feuillage vert, des feuilles d'un bleu profond, phosphorescentes, illuminant la partie ouest de la région dans un halo bleuté absolument magnifique. Bien qu'il n'ait jamais pu mettre les pieds dans la Forêt Céruléenne, celle-ci était une part de lui, comme l'océan était une part de Qadir ou les montagnes étaient une part de Kamra. Il avait rêvé de ce moment, foulant du pied la terre de son pays, embrassant des yeux chaque recoin, chaque morceau qui lui avait été volé.

     Mais l'Hassadie qu'il avait connu n'était plus. Tinam, qui était un village de plusieurs centaines d'habitants, était aussi silencieux qu'une tombe. Sur les dizaines de maisons qui s'étendaient de part et d'autre de la grande avenue, menant à la place centrale, seules quelques-unes étaient encore habitables, les autres semblants avoir été détruites des années plus tôt. Zayn regarda les centaines de blocs de pierre, gisant dans un mélange de paille, de terre et de poussière. L'endroit ressemblait à un champ de bataille quitté à peine quelques heures plus tôt, sans aucune âme qui vive. Ils longèrent les ruines en silence, alertes, prêts à dégainer leurs armes car un endroit tel que celui-ci ne pouvait qu'être dangereux. Kamra marchait en tête, la main posée sur le fourreau de son sabre, accompagné de Qadir, qui observait chaque recoin les yeux plissés.

     Il ne leur fallut que quelques minutes pour rejoindre le cœur du village mais le silence ne faisait que s'appesantir à chaque instant, dans une atmosphère trop peu naturelle. Zayn tourna la tête et aperçut un piédestal en granit, soutenant une statue, qui brandissait un sabre, les deux jambes solidement campées dans la pierre. Ses vêtements guerriers et le sabre à deux pointes indiquaient un personnage bien connu de leur histoire. Qadir Al-Bahir, Compagnon de l'Oumm, premier émir de l'Asyr et, accessoirement, l'ancêtre direct de Kamra. Enfin, Zayn supposait qu'il s'agissait de cet homme-là car la statue ne possédait pas de tête. Celle-ci avait été décapitée et ce qui avait dû être sa tête, gisait à ses pieds, fracassée en mille morceaux.

-Les fils de chiens ! s'exclama Qadir, faire ça à mon homonyme, c'est une honte !

-Moins fort espèce d'idiot !

-Quoi ? Il n'y a pas d'âme qui vive ici ! Je me demande si le soldat ne nous a pas induits en erreur...on aurait peut-être dû le tuer, en fin de compte.

-C'est toi qui a demandé la prière de consultation !

-Je sais, je sais ! Mais pour ma défense, je pensais vraiment que Kamra allait le tuer malgré tout pendant la nuit.

     La concernée ne chercha même pas à se défendre. Zayn s'attarda sur son visage, sur l'ombre qu'il devinait dans ses yeux alors qu'elle s'agenouillait vers ce qui avait été le visage de son ancêtre. Il aurait aimé avoir quelque chose de réconfortant à dire mais rien ne lui vint à l'esprit alors il se contenta de s'agenouiller à ses côtés, posant sa main sur le dos de la sienne. La chaleur qui irradiait de sa cousine lui semblait presque surnaturelle et aurait pu facilement se confondre avec de la fièvre s'il n'avait pas su que Kamra avait toujours eu une température corporelle plus élevée que la sienne, une farce divine pour compenser sa rigidité d'esprit, avait dit un jour Haytham pendant l'un de leurs entrainements. Zayn n'avait su quoi répondre à ce commentaire, pas plus qu'il ne le pourrait aujourd'hui mais Kamra était, à l'inverse des deux autres, de son sang et en conséquence, ce qui la peinait le peinait aussi.

-Nous sommes de retour, lui murmura-t-il, nous ne les laisserons plus briser notre foyer plus longtemps, mais tu ne dois pas t'appesantir sur ce qui est devant toi. Ce n'est que de la pierre.