22. Putride ignorance

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Isadora

Il est vrai que je me remuais les méninges pour quitter le maudit pays glacé. Je commençais à désespérer, Misha me coupait l'herbe sous le pied dès que je trouvais un exutoire.

Il voulait que nous soyons réunis pour les fêtes de Noël, comme s'il avait été pratiquant toute sa vie pour exiger qu'on se rende à la messe. Comme si une crèche sous le majestueux sapin doré était le cache misère de ses actes putrides. Comme si sa menace ne pesait pas sur ma trachée le soir du réveillon, autour de la grande table rectangulaire.

Une échappatoire était la bienvenue. J'avais besoin d'une raison valable, le tournoi devait être un argument suffisant. Hélas, Harrison m'en a fourni un autre, et je crois que j'aurais préféré qu'il n'en soit pas. 

Dans aucun cas il n'aurait dû encaisser ne serait-ce qu'un effleurement. Ce n'était pas prévu, je n'ai pas pu l'anticiper. Pire encore, j'aurais pu, mais je n'en n'ai pas été capable

J'ai laissé César l'approcher, croyant qu'il ne ferait pas de mal à l'aile d'une mouche. Résultat, je retrouve Harrison allongé sur son canapé, la joue enflée, un bras pendu dans le vide, le corps aussi lourd qu'une pierre sur les coussins.

Durant l'entièreté du vol, je m'imaginais le retrouver dans une flaque de sang, assommer ou tuer pour la vendetta d'une fierté.

Son timbre lors de notre appel était essoufflé. Cela pouvait m'indiquer des émotions fortes, ou des fortes souffrances. J'ai imité la carte de l'indifférence, en songeant qu'il m'aurait bien annoncé d'une manière si ses blessures avaient atteint son système vital.

Mes doigts se sont comme qui dirait croisés.

La résidence est mal clôturée, il est facile de s'y faufiler si l'on est hardi. C'est pourquoi je lui ai demandé de fermer sa porte à clef. Il y a des loquets depuis l'intérieur, ce n'est pas pour en faire de la décoration. C'est préventif.

Le quartier craint. Rien n'est sécuritaire parmi plusieurs pâtés de maisons à la ronde.

Pourtant, je n'ai eu qu'à descendre la poignée pour constater que pour la première fois de sa ridicule vie, Harrison a ignoré sa survie. N'importe qui aurait pu le voir vulnérable sur le divan en tissu gris terne, n'importe qui aurait pu lui faire la peau jusqu'à l'os.

Un effroi remonte ma nuque.

Je m'approche du canapé. L'observer dormir est dérangeant. Encore une fois, je n'étais pas préparée à cela. Avec Harrison, je sors de mes sentiers battus.

Habituellement, j'aime jouer avec le feu. La brûlure ne m'effraie pas, la douleur est lancinante, la cicatrice déjà vue. Mais avec lui une petite étincelle en devient une plus grande sans crier gare. Comme une huile sur le feu. Je l'ai réalisé il n'y a pas si longtemps.

C'est la raison de mon recul.

Il n'est rien.
 
Personne d'important.

Personne qui n'a de l'importance.

Personne n'a d'importance.

Il doit sentir ma présence car ses paupières palpitent, elles restent néanmoins closes. Mon genou se plie pour venir toucher son bras mou. Aussitôt il sursaute et se redresse sous la menace de l'inattendu. Ses pupilles s'écarquillent.

Son alerte interne dure jusqu'à ce que son regard se pose sur moi, à ce moment précis il s'apaise.

— Tu m'as fait peur, il soupire en se frottant le visage de ses mains.

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