Chapitre 35 : Le Silence de Feelings
L'Oasis des Âmes était un lieu où chaque murmure, chaque pensée enfouie dans les tréfonds de l'esprit se matérialisait. Pour Feelings, cependant, ce n'était pas tant les murmures qui l'affectaient, mais plutôt le silence. Un silence oppressant, plus lourd que n'importe quel hurlement ou écho du passé. C'était un vide absolu, un gouffre émotionnel qui menaçait d'engloutir tout ce qu'il lui restait de raison.
Depuis qu'elle avait rejoint le groupe, Feelings était toujours resté en retrait, observant, agissant selon des règles invisibles que elle seule semblait comprendre. Son comportement, souvent imprévisible, était le reflet d'un être qui avait déjà sombré dans des abysses mentaux, mais qui, d'une manière ou d'une autre, continuait d'avancer. Pourtant, ici, dans cet endroit où le passé refusait de mourir, ces abysses s'ouvraient à nouveau devant elle.
Autour d'elle, l'environnement se déformait, se tordant pour devenir une version abstraite de sa propre psyché. Des éclats de souvenirs épars apparurent dans l'air, des bribes de conversations, des éclats de rire, des pleurs étouffés. Mais aucun ne parvenait à capturer toute la profondeur de ce qui rongeait vraiment Feelings.
Au milieu de tout cela, une scène surgit avec une clarté terrifiante. La chambre sombre, un corps allongé, inerte. Elle-même, plus jeune, regardant le sol, le visage sans émotion, un couteau encore dans la main. Un suicide ? Un meurtre ? La différence n'avait plus d'importance à ce stade. Ce moment avait été celui où tout avait changé. Celui où elle avait sombré dans une dépression si profonde qu'elle avait failli la consumer entièrement.
Feelings s'arrêta devant cette scène, ses yeux vides d'expression. Elle ne montrait rien à l'extérieur, mais intérieurement, chaque fibre de son être hurlait. C'était ce souvenir, cette douleur, qui l'avait hanté jour après jour. Peu importait ce qu'elle faisait, où elle allait, cette scène restait gravée dans son esprit, comme un poison lent qui détruisait peu à peu son âme.
« Pourquoi... n'as-tu pas arrêté ça ? » murmurait une voix douce, celle d'une femme dont le visage était flou dans ses souvenirs.
Elle n'avait jamais trouvé de réponse à cette question. Peut-être que, quelque part au fond d'elle, elle pensait mériter cette souffrance. Peut-être qu'elle avait toujours su que ce moment la définissait bien plus que tout ce qu'elle avait fait depuis.
Les ombres autour d'elle prirent forme, et soudain, elle n'était plus seul. D'autres silhouettes apparurent, toutes portant les traits de personnes qu'elle avait perdues. Certaines étaient mortes, d'autres étaient parties, mais elles partageaient toutes un point commun : Feelings ne les avait jamais sauvées. Elle s'était toujours senti impuissant, incapable de changer quoi que ce soit à leur sort.
Elle tomba à genoux, ses mains tremblantes. Ce poids... elle l'avait porté pendant si longtemps. Mais ici, dans cette Oasis des Âmes, elle ne pouvait plus fuir.
"Je... suis désolé," murmura-t-elle, le regard plongé dans le vide.
Soudain, une ombre plus grande que les autres se matérialisa devant elle. Elle n'avait pas de visage, mais son aura était écrasante. C'était son propre désespoir, matérialisé, prenant la forme d'un monstre qui la poursuivait depuis des années. Il n'y avait rien de tangible à combattre, rien qu'elle pouvait affronter avec force ou intelligence.
Le monstre s'avança lentement, comme une vague prête à engloutir son esprit. Feelings tenta de se lever, mais ses jambes ne le portaient plus. Elle était figé, immobilisé par la lourdeur de sa propre culpabilité.
"Pourquoi continues-tu ?" demanda la voix du monstre. "Pourquoi ne pas simplement abandonner ?"
Feelings baissa les yeux. Pourquoi continuer, en effet ? Elle avait tout perdu, ou du moins, c'est ce qu'elle croyait. Pourtant, quelque chose l'avait maintenu en vie tout ce temps, l'avait poussé à rejoindre ce groupe, à se battre aux côtés de personnes qu'elle considérait à peine comme des amis.