La pièce entière semblait retenue par un souffle suspendu, comme si le temps lui-même hésitait à avancer. Mes doigts se crispèrent autour de la crosse de l'arme, la sueur perlant sur mon front. Dans ce moment de tension extrême, toutes les émotions, la peur, la rage, le désespoir se condensèrent en une unique certitude : je ne pouvais plus être sa prisonnière.
Martin ne reculerait jamais. Peu importait ce que je disais ou faisais, il resterait cet homme arrogant, convaincu que je lui appartenais. Il n’avait jamais vu la femme en moi, seulement l’objet de sa domination.
— Je n'ai plus peur, murmurai-je. Pas de toi, pas de ce que je devrai affronter ensuite.
Ses yeux s'écarquillèrent légèrement. Il commençait à comprendre. Pour la première fois, il semblait envisager que je pouvais aller jusqu’au bout, que je pouvais prendre cette décision fatale.
Le silence fut brisé par un son presque imperceptible : le clic mécanique de la détente annonçant l’inévitable.
J'avais fermé les yeux en tirant pour me donner du courage et éviter de voir ce qui allait se passer. J'attendis quelques instants avant de les ouvrir et, dès que ce fut fait, je constatai que la balle ne l'avait pas touché. Elle s'était logée dans le mur, créant un petit trou.
Un rire diabolique s'échappa de Martin.
— Je le savais !
Il se moquait de moi et, tel un fou, il réduisit la distance entre nous. Lorsqu'il fut à ma hauteur, il commença à me battre avec une violence démesurée. Je pleurais, je criais, mais rien ne semblait l'arrêter.
Le monde s'effondrait autour de moi. Le choc de la balle ratée et le rire glacial de Martin résonnaient dans mon esprit comme une lame qui me retirait le peu de force qu'il me restait. Ses coups tombaient, brutaux, implacables. Chaque impact me rappelait à quel point j’étais seule dans cette bataille. J’avais cru que tirer sur lui m’offrirait la liberté, mais je n’avais réussi qu’à attiser sa fureur.
Entre deux coups, mon regard croisa celui de ma sœur, dans l’embrasure de la porte. Un espoir insensé naquit en moi. Elle allait m’aider, elle devait m’aider. Mais son sourire cruel, presque satisfait, détruisit ce dernier espoir. Le monde entier se retournait contre moi. Ma propre sœur, mon sang, celle en qui j’aurais dû pouvoir trouver refuge, m’abandonnait à cet enfer. Non, pire, elle semblait savourer ma souffrance.
Je n'arrivais pas à comprendre. Pourquoi me trahir ainsi ? Pourquoi cet abandon ? Une douleur vive se propagea dans ma poitrine, bien au-delà des coups de Martin. La douleur de la trahison, plus perçante que tous les coups physiques.
Mon souffle se faisait de plus en plus court. Mes forces me quittaient, mais au fond de moi, une voix subsistait, ténue mais persistante : Tu dois survivre. Ce n’est pas fini.
Je devais trouver un moyen de m'en sortir.
Les coups ne cessaient de tomber, chaque impact m’enfonçant un peu plus dans une réalité insoutenable. Le rire de Martin résonnait comme une cloche funèbre, tandis que le regard de ma sœur restait fixé sur ma souffrance avec ce sourire mesquin. Chaque battement de mon cœur semblait battre à contrecourant de ma volonté de vivre, comme si je sombrais dans une mer de douleur et de trahison.
Mais quelque chose en moi, enfoui sous des couches de désespoir et de terreur, refusait d’abandonner. Je n’étais pas encore vaincue. Je ne pouvais pas l’être. Malgré les coups, malgré l’abandon de ma sœur, il restait une étincelle de vie en moi, une lueur d’espoir que même Martin ne pouvait pas éteindre.
Je ne pouvais pas compter sur ma sœur, mais je devais me sauver. De façon désespérée, je cherchais une issue, une opportunité, quelque chose. Mon corps hurlait de douleur, mais mon esprit, lui, cherchait une porte de sortie. Je me concentrai sur les sons autour de moi, les bruits de la pièce, les respirations saccadées de Martin, son arrogance aveugle.
Puis, une idée germa dans mon esprit. Mon corps se relâcha volontairement sous les coups, mes cris se turent progressivement. J’espérais qu’en me faisant passer pour vaincue, Martin relâcherait sa garde, convaincu de sa victoire. Peut-être baisserait-il sa vigilance juste un instant, un instant suffisant pour que je frappe.
Il finit par s’arrêter, son souffle court et son corps tremblant de colère. Je sentis sa main saisir mes cheveux, me forçant à le regarder. Son sourire s’était estompé, remplacé par une lueur de triomphe sombre.
— Tu vois, chuchota-t-il d’une voix rauque. Tu ne peux pas m’échapper. Personne ne t'aidera.
Je l’entendais à peine, mes pensées concentrées sur un seul objectif : trouver la force de réagir.
Il relâcha finalement sa prise et fit un pas en arrière, me toisant avec un air de mépris, croyant sans doute que j’étais enfin brisée.
C’était mon moment.
Rassemblant mes dernières forces, je ramassai un objet lourd à portée de main, un vase ou une lampe — je ne savais pas exactement — et avec toute la rage qui brûlait en moi, je le lui lançai violemment au visage. Il chancela, surpris, ses mains se portant à sa tête.
Sans attendre de voir s'il se remettait, je me levai, malgré la douleur, et courus vers la porte. Ma sœur, toujours debout là, me regardait, surprise. Je la bousculai sans un mot, franchissant le seuil avec une unique pensée en tête : fuir, loin de Martin, loin de cette maison, loin de tout.
J’entendais derrière moi le hurlement furieux de Martin. Mais cette fois, c’était moi qui avais l’avantage.
Je dévalai le couloir, le cœur battant à tout rompre, chaque pas me rapprochant de la sortie. Derrière moi, les cris de Martin résonnaient, amplifiés par les murs de cette maison devenue une prison. Mes pieds nus glissaient sur le sol froid, mais l'adrénaline poussait mon corps au-delà de la douleur, de la fatigue.
Je n'avais aucune idée de ce que j'allais faire une fois dehors. Je n’avais pas de plan, juste l’urgence de m’échapper, de mettre le plus de distance possible entre moi et cet enfer. Le bruit de Martin qui se relevait derrière moi me glaçait le sang, mais je savais qu’il était blessé, ralenti par le choc. C'était ma chance.
Je débouchai enfin dans le grand salon. La porte d'entrée était juste devant moi, symbole de la liberté. Je tendis la main vers la poignée, mais avant même de la toucher, une douleur fulgurante traversa mon bras. Ma sœur venait de m'attraper par le poignet, ses ongles s'enfonçant dans ma peau.
— Où crois-tu aller ? me souffla-t-elle, sa voix glaciale.
Son sourire mesquin était de retour, mais ses yeux brillaient d'une lueur plus sombre, presque folle. Elle serrait mon bras avec une force que je n'aurais jamais cru possible, et pendant un instant, je me retrouvai figée, incapable de comprendre comment elle pouvait me trahir à ce point.
— Pourquoi tu fais ça ? demandai-je d'une voix brisée.
— Tu ne comprends toujours pas, hein ? murmura-t-elle. C'est moi qu'il aurait dû épouser. Pas toi. J'ai toujours été la préférée des parents. Mais toi, tu as tout pris. Maintenant, c'est fini.
Ses mots me frappèrent comme des coups de couteau. Je compris soudain. Elle m’avait trahi, non seulement en couchant avec lui, mais en manœuvrant pour me détruire. Cette révélation fit naître en moi une rage encore plus grande, une force que je ne savais pas posséder.
D’un geste violent, je me dégageai de son emprise, la repoussant avec une force que je ne contrôlais plus. Elle perdit l’équilibre et tomba au sol, un cri de surprise échappant de ses lèvres.
Sans un regard en arrière, je tournai enfin la poignée et ouvris la porte. L’air frais m’accueillit, et sans réfléchir, je m’élançai sans direction fixe. La route devant moi était vide et calme. Je courais, mes jambes flageolantes mais animées par une volonté de survie que rien ne pouvait arrêter.
Derrière moi, je pouvais entendre Martin crier mon nom, sa voix déformée par la colère. Il me poursuivait, mais il était trop loin. Je ne me retournai pas. Je ne pouvais pas. Fuir était ma seule option. Chaque pas me rapprochait de la liberté, de cette vie que je devais reconstruire loin de cette folie.
Je ne savais pas où j’allais, ni comment j’allais m’en sortir, mais une chose était claire : je ne serais plus jamais la prisonnière de mon mari.