Ostru: Fragments d'un Monde Déchu

Chapitre 34

Aster déambulait dans les rues de Docks, fasciné et troublé à la fois par cette ville emblématique du continent Esba. Chaque ruelle semblait conçue pour éblouir les touristes, avec des façades propres et luisantes, presque irréelles, comme si elles sortaient tout droit d'un studio de cinéma. Les bâtiments étaient immaculés, ornés de plantes parfaitement entretenues, et les trottoirs impeccablement balayés accueillaient des visiteurs élégants en tenues de luxe. Tout ici respirait la richesse, le confort, et un certain goût du spectacle.

Cependant, derrière cette façade éclatante se cachait une réalité bien plus sombre. Dans les ruelles en retrait, loin des regards des riches et des puissants, les ombres hébergeaient des sans-abris par dizaines. Aster les apercevait, dissimulés dans des recoins sombres ou sous les porches abandonnés, leur misère contrastant cruellement avec l'opulence qui les entourait. Ce contraste frappant l'avait toujours choqué, mais le revoir après tant d'années ne faisait que raviver ce sentiment d'injustice. Il observait avec amertume des passants en habits de soie, leurs bagues scintillantes et leurs montres d'or, chaque bijou valant suffisamment pour loger plusieurs de ces malheureux pendant des mois.

Au loin, dominant l'horizon, le château du roi s'imposait comme une silhouette presque irréelle, un palais monumental qui semblait flotter au-dessus de la ville. Sa blancheur éclatante et ses tours majestueuses captaient les regards, éclipsant tout le reste. On n'en voyait que le sommet depuis leur position, mais sa grandeur était suffisamment imposante pour rappeler à tous la hiérarchie implacable de ce monde.

Avec tout ce monde, Aster tenait doucement le bras de Phran pour la guider à travers la foule dense. Phran, silencieuse, semblait se perdre dans les bruits de la ville, les conversations, le brouhaha des marchands, les cris des enfants. Bien qu'elle ne puisse pas voir, elle semblait imaginer cette vie animée autour d'elle, comme si chaque son, chaque odeur, lui peignait un tableau plus vibrant que la réalité elle-même.

« On va manger un bout ? » demanda Aster en chuchotant à Phran. Depuis leur départ de chez Romy, ils n'avaient survécu que grâce à des plats préparés, fades et sans saveur. Romy, dans un élan de générosité que même Aster ne lui connaissait pas, leur avait donné de quoi subsister jusqu'à Verdion, la ville cybernétique. Mais ils en étaient encore loin, et la simple idée de pouvoir déguster un repas frais lui semblait un luxe presque irréel.

« Oui, mais on a vraiment assez d'argent pour ça ? » répondit Phran, toujours pragmatique. Elle aussi était lasse des boîtes de conserve, mais elle savait que Docks n'était pas la capitale d'Esba par hasard. Tout, ici, était hors de prix, chaque coin de rue semblant conçu pour vider les poches des voyageurs.

« Je connais quelqu'un, » murmura Aster, un petit sourire en coin. « Il me doit un service. Le gamin m'en vaut une. »

Phran haussa légèrement les épaules, indifférente. Ce genre d'arrangement l'importait peu tant qu'elle pouvait enfin manger autre chose que ces rations insipides. Sans plus attendre, Aster la guida à travers les rues bondées vers une petite taverne qu'il connaissait bien.

En marchant, Aster jetait des coups d'œil furtifs vers Phran. Elle avait toujours cette expression froide, impénétrable, le visage fermé comme si elle s'était habituée à se protéger du monde qui l'entourait. Elle ne savait pas qu'il l'observait, et il ne pouvait s'empêcher de ressentir un poids lourd sur sa conscience. Phran méritait mieux que cette vie. Doucement, il se pencha vers elle, rapprochant ses lèvres de son oreille pour parler à voix basse.

« Tu ne peux pas voir la ville, alors laisse-moi te la décrire, » murmura-t-il, sa voix douce contrastant avec son habituelle arrogance. Il commença à lui peindre des images avec ses mots, détaillant la couleur des étals débordant de fruits exotiques, les murs des bâtiments reflétant la lumière dorée du soleil couchant, et la manière dont le vent de la mer faisait danser les bannières colorées au-dessus des terrasses.