Les Héritiers de l'Hassadie : Le Chant des Khadymm (Premier Jet)

Chapitre X - L'étranger parmi les étrangers / Qadir

      Installé à même le sol, sur de l'herbe sèche, Qadir observait ses cousins prier en silence. Zayn menait la prière tandis que Bala et Kamra, derrière, se tenaient immobiles. Kamra avait revêtu un des voiles que Bala avait emporté du Premier Monde, un tissu rose pâle qui contrastait avec son air grave. Il détourna les yeux quand ses compagnons se prosternèrent et son regard tomba sur la ville en contrebas.

     Tarifia.

      De là où il était, il pouvait voir que la ville grouillait de vie. La clameur de la foule qui se pressait dans les rues lui parvenait comme un bourdonnement lointain. Plus il se rapprocherait, plus celui-ci serait assourdissant, jusqu'à faire trembler ses os. Des toits ronds, s'élevaient des fumées tantôt blanchâtres, tantôt opaques, créant au-dessus de la ville un nuage éternel, un dôme qui n'existait que par la présence d'une activité humaine. Quelque part, cela lui rappelait Boston et sa pollution, les Etats-Unis en général, l'endroit qu'il avait choisi comme foyer après avoir fui les autres. Il voyait bien l'ironie de la chose, à se retrouver aux abords d'une ville peuplée de gens familiers, accompagné de ceux qu'il avait fuis mais il était trop fatigué pour la relever. Le voyage jusqu'à Tarifia avait été une source de stress constant, alimenté par les cavaliers versylvriens et par les chemins tortueux et obscurs qu'ils avaient dû emprunter pour éviter les grandes routes. A cela, s'ajoutait la diminution de leur stock de lentilles de contact, rendant le jour où ils ne pourraient plus camoufler leurs pupilles rouges proche. Trop proche.

      Il y avait tant de choses à faire. Tant à découvrir. Tant de questions en suspens dans l'air, que cela soit en Hassadie ou entre lui et ses compagnons. Il y avait tant à perdre aussi, à tel point que la vue de la ville l'emplissait d'une sourde angoisse. Quelque chose les attendait en bas, quelque chose de terrible, il en avait la certitude. Mais partir pour les montagnes sans préparation aurait été du suicide aussi, il supposait que Tarifia était le choix le plus sage, malgré tout. Son angoisse était peut-être liée au stress des derniers jours.

-Que sait-on de cette ville ? demanda-t-il quand les autres eurent terminé de prier.

     Sa question s'adressait à Kamra, la seule à avoir vécu dans la région. Si Versylvre n'avait pas envahi l'Hassadie, elle en serait peut-être aujourd'hui l'administratrice, la fière héritière de la maison Al-Qadir.

-Autrefois, c'était la troisième grande ville de la région, répondit Kamra en regardant les toits. Comme la ville n'est pas très loin de Kör contrairement aux deux autres, l'école militaire se trouvait par là...

     Du doigt, elle montra le côté droit de la ville, duquel s'élevait un bâtiment à la couleur brune plus grand que les autres, flanqué de deux tours imposantes. Qadir plissa les yeux, essayant d'apercevoir un signe distinctif mais rien ne laissait penser que l'endroit était désormais infesté par les soldats de Versylvre.

-La mosquée est de l'autre côté, continua Kamra et le souk ne se trouve pas très loin de l'entrée principale. Les maisons les plus riches se trouvent plutôt du côté de l'école tandis que les habitations les plus pauvres sont proches de la mosquée. La personne en charge de la ville vivait dans une maison particulière, je devrais être en mesure de la reconnaître une fois à l'intérieur.

-Tu sembles connaître l'endroit sur le bout des doigts, fit remarquer Zayn avec surprise.

     Kamra haussa les épaules.

-Je suppliais mon père de m'emmener à chaque fois qu'il quittait Djawa. Parfois, il le faisait. Mais c'est Abbas qui m'a fait découvrir Tarifia. Il me laissait monter à cheval avec lui du moment que son lieu de rencontre était en Asyr. C'est la première ville que j'ai visitée avec lui.