Je repris aussitôt :
— Le Martin avec qui je me suis mariée n'existe plus. Il a été remplacé, je ne sais pas exactement quand, mais quelque chose s'est brisé. Son comportement, sa façon de parler, tout a changé. Ce n'est plus l'homme que j'ai épousé, Lieutenant Farel. Il s'est passé quelque chose de très louche, et je suis convaincue que c'est lié à l'attaque dont il a été victime. Depuis cet événement, il est devenu une personne différente. Et j’ai bien l'intention de découvrir pourquoi.
Farel se redressa dans son fauteuil, visiblement déconcerté par la gravité de mes propos. Pendant un long moment, il resta silencieux, réfléchissant à ce que je venais de lui dire. Enfin, il poussa un soupir et se pencha légèrement vers moi.
— Vous dites que Martin Asare a été remplacé... Par qui ? Comment est-ce possible ? Avez-vous des preuves pour soutenir une telle affirmation ?
Je secouai la tête, sentant l'émotion monter en moi. C'était difficile à expliquer, à mettre en mots.
— Je n'ai pas de preuves matérielles, du moins pas encore. Mais je le sais au fond de moi. L’homme avec qui j'ai vécu ces derniers temps est un imposteur. Et je crois que ce voyage en Corse m'apportera les réponses que je cherche.
Le lieutenant Farel se passa une main sur le menton, son visage se durcissant progressivement.
— Si ce que vous dites est vrai, alors nous sommes peut-être face à quelque chose de bien plus grave que ce que j'avais imaginé, dit-il enfin. Très bien, je vais vous aider. Mais vous devez être prête à tout, car cette affaire risque d’être encore plus sombre que vous ne le pensez.
Un frisson me parcourut l'échine. Je le savais, mais j'étais prête à affronter cette vérité, peu importe ce qu'elle me coûterait.
Je repris, déterminée :
— Je suis prête à tout, Lieutenant. Peu importe ce que cela implique ou les révélations que je devrai affronter, je ne reculerai pas. J'ai trop longtemps été dans l'ombre de cette vérité.
Le lieutenant Farel hocha lentement la tête, son regard sérieux plongeant dans le mien. Il semblait peser mes paroles, évaluer ma détermination. Puis il se redressa dans son fauteuil et reprit la parole.
— Vous êtes là pour combien de temps ? Je vais passer au crible tous les éléments que j'ai recueillis au sujet de votre époux jusqu'à présent. J'espère que vous mesurez l'ampleur de la situation.
Je pris une grande inspiration avant de répondre.
— Aussi longtemps qu'il le faudra. Je ne peux pas retourner à ma vie tant que je n'aurai pas découvert la vérité. Si cela signifie rester ici des semaines, je le ferai.
— Très bien, je vais ouvrir une enquête dès aujourd'hui et je compte sur votre entière collaboration.
— Bien entendu, Lieutenant !
Le lieutenant Farel se leva, prenant un ton plus formel.
— Je vais tout faire pour découvrir la vérité. Mais vous devez comprendre une chose, Madame Asare. Une fois que nous aurons levé le voile sur cette affaire, il pourrait y avoir des conséquences que vous n'avez pas anticipées.
Je hochai la tête, consciente des risques. Depuis que Martin avait changé, je sentais que quelque chose de plus sombre était en jeu, quelque chose qui dépassait tout ce que j'avais pu imaginer. Mais je ne pouvais plus reculer. Pas après être arrivée aussi loin.
— Je suis prête à affronter ces conséquences, répondis-je d’une voix assurée.
— Bien, laissez-moi votre contact. Je vous appellerai si j'ai du nouveau.
— Pas de souci !
Je le fis, et une dizaine de minutes plus tard, je partis.
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Quelques jours plus tard
Cela faisait presque une semaine que je me trouvais dans ce pays. L'enquête n'avait fait aucun progrès et je commençais à m'inquiéter. Ce matin-là, à mon réveil, j'avais reçu un message du lieutenant Farel me demandant de le rejoindre au poste central, ce que je fis sans perdre de temps.
À mon arrivée, il m'invita à m'asseoir. Il me fixa un instant de plus, puis se dirigea vers son bureau. Il ouvrit un tiroir et en sortit une enveloppe scellée.
— Voici un rapport confidentiel que j’ai reçu récemment. Prenez le temps de le lire.
Je pris l'enveloppe, l'esprit en ébullition.
— Qu’est-ce que c’est ? demandai-je, le cœur battant.
Il hésita un instant avant de répondre.
— Il s'agit d'une enquête non résolue concernant un homme ressemblant étrangement à votre époux. Cet homme, selon des témoins, serait en Corse depuis un certain temps. Si ce que vous dites est vrai, il pourrait s'agir de son frère jumeau… celui qui l’a remplacé.
Mon cœur se serra à l'idée que mes craintes soient justifiées. Un frère jumeau, un imposteur qui aurait pris la place de Martin… Tout cela semblait invraisemblable, mais les pièces du puzzle commençaient lentement à s'assembler. Je déchirai fébrilement l'enveloppe, révélant un rapport détaillé. Des témoignages, des photos floues prises en Corse, et un nom qui me glaça le sang : Vincent Asare.
— Vincent… c'est lui ? demandai-je, la voix tremblante.
Le lieutenant Farel acquiesça.
— Oui. D'après nos découvertes, Vincent Asare est le frère jumeau de Martin. Ils ont été séparés à la naissance. Vincent a été élevé dans une autre famille après avoir été échangé à la maternité. La femme qui l'a élevé avait accouché d'un mort-né et a soudoyé une infirmière pour intervertir les bébés et faire croire à la mort de Vincent.
— Mon Dieu !
Je fus submergée par une vague de choc et d'incrédulité. L'idée que Martin ait un frère jumeau, Vincent, et que ce dernier ait été séparé de lui dans de telles circonstances... c'était déchirant.
— Et Vincent... il aurait échangé sa vie avec celle de Martin ? murmurai-je, encore sous le coup de l'émotion.
Le lieutenant Farel hocha la tête.
— C'est ce que tout semble indiquer. Vincent a eu une vie difficile, loin des privilèges qu’a connus Martin. Il a appris la vérité sur ses origines il y a quelques années et nourrit depuis une profonde rancune envers Martin, qu'il tient pour responsable de sa propre souffrance.
Je laissai tomber le rapport sur la table, incapable de continuer à lire pour le moment. L’idée que Vincent ait orchestré cette mise en scène avec une telle minutie me laissait sans voix.
— Pourquoi maintenant ? Pourquoi cette vengeance après toutes ces années ?
— La raison exacte est encore floue, mais il semble que Vincent ait des connexions avec des groupes dangereux en Corse. Il n’agit pas seul. Il se pourrait qu'il utilise cette vendetta personnelle comme levier pour atteindre des objectifs plus grands, peut-être même illégaux.
Je pris une profonde inspiration, tentant de maîtriser l'avalanche d'émotions qui m'assaillait.
— Que puis-je faire maintenant, Lieutenant ? Où est Martin ?
Farel s'adossa dans son fauteuil, l'air pensif.
— Nous devons localiser Vincent en premier.
— Je l'ai laissé au Ghana, mais j'ignore s'il y est toujours.
— J'ai passé l'alerte. S'il franchit les frontières de la Corse, nous en serons informés.
Le lieutenant Farel se leva, se dirigeant vers la fenêtre.
— En attendant des nouvelles de nos contacts en Corse, je vous conseille de rester sur vos gardes. Vincent sait probablement que vous le recherchez, et il ne reculera devant rien pour protéger son secret.
Je hochai la tête, le cœur lourd. Confronter Vincent me terrifiait, mais je ne pouvais pas abandonner. Trop de questions restaient sans réponse, et je sentais que la vérité était plus proche que jamais.