Chapitre 1: Le dernier souffle

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Dans l'écrin vibrant de Lomé, la lumière du jour s'étirait lentement à travers les voiles légers des maisons, illuminant les visages fatigués mais souriants des passants. La ville, pulsant au rythme des affaires et des rituels quotidiens, était un tableau vivant, une mosaïque de couleurs, de sons et de senteurs qui formaient l'essence même de mon existence. Et pourtant, ce jour-là, une ombre s'étendait sur cette toile éclatante, marquant le début d'une séparation inexorable.

Je suis là, flottant dans l'espace au-dessus de mon propre corps, comme une plume légère emportée par le vent. La chambre où je repose est faiblement éclairée, emplie d'une atmosphère lourde de chagrin et d'espoir. Mes yeux, ou ce qu'il en reste, ne peuvent plus voir, mais mon âme, elle, est éveillée. Je suis l'observatrice silencieuse, le témoin impassible de la douleur qui m'entoure. Ma mère, accroupie à mes côtés, tient ma main avec une force désespérée, comme si cette étreinte pouvait défier la fatalité qui s'approche.

La chaleur du soleil, bien que lointaine, me parvient encore par bribes, tout comme le parfum des épices qui s'élève des marchés voisins. Les cris joyeux des enfants, les rires des vendeurs, la mélodie de la ville, tout cela semble si étranger maintenant, une symphonie à laquelle je n'appartiens plus. Alors que je flotte, je sens mon cœur se déchirer, non pas pour moi, mais pour eux. Ils ne comprennent pas encore que je suis déjà en train de partir, que mon dernier souffle se rapproche, inexorable.

Les battements de mon cœur s'espacent, devenant de plus en plus fragiles, comme le battement d'un tambour qui perd de sa force. Dans cette pièce, le temps semble s'étirer, chaque seconde se dilatant jusqu'à devenir une éternité. Je veux crier, je veux leur dire que je ne suis pas vraiment partie, que je suis là, juste au-dessus d'eux, observant chaque larme qui glisse sur les joues, chaque regard désespéré échangé.

Et dans un souffle, tout bascule. Je m'éloigne, me détache de cette chair fatiguée, de ce corps qui a connu tant de joie et de douleur. Je suis libre. Mon essence s'élève, traversant les murs de cette chambre, m'envolant au-dessus de Lomé. Je vois ma ville, mes rues chéries, vibrantes de vie, comme un film projeté devant moi. Je vois tout.

Soudain, une vague de souvenirs me submerge. Je me retrouve au marché, au cœur de l'effervescence. Les couleurs chatoyantes des tissus, les fruits éclatants, les cris des marchands se mêlent dans une danse enivrante. Je me revois, enfant, courant à travers les allées, le cœur léger, riant avec mes amis. Je peux encore sentir la chaleur du soleil sur ma peau, le frisson de l'insouciance. À chaque pas, la vie débordait autour de moi, pulsant d'énergie et de promesses.

Mais le souvenir se dissipe, et je suis de retour ici, dans cette chambre, au seuil de l'inconnu. La douleur m'envahit, mais ce n'est pas la mienne ; c'est celle de ceux que j'aime, cette douleur profonde et poignante qui me touche de près. Je les vois, mes proches, perdus dans leur chagrin. Ma sœur murmure mon nom, sa voix pleine de désespoir. "Ne pars pas, s'il te plaît," implore-t-elle. Chaque mot résonne en moi, une mélodie mélancolique qui me tire en arrière.

Je suis tiraillée entre deux mondes. L'un, vibrant de vie, où les rires résonnent et les promesses d'un nouvel avenir se dessinent, et l'autre, celui où mes proches se noient dans leur tristesse. Je ressens le poids de leur chagrin, la lourdeur de leurs cœurs. Mon père, stoïque en apparence, cache une mer de larmes derrière ses yeux. Je voudrais pouvoir le consoler, lui dire que tout ira bien, que je les aime toujours.

Mais le temps ne m'attend pas. Mon dernier souffle approche, inévitable. Je ressens une légèreté croissante, un détachement. Je ne suis plus moi-même ; je suis l'âme, pure et éternelle. Alors que je m'élève au-dessus de Lomé, je comprends la beauté de cette séparation. Je vois les petites maisons, les rivières scintillantes au soleil, et je me souviens de mes rêves, de mes espoirs. Tout cela fait partie de moi, de mon histoire.

Alors que je m'élève, je passe au-dessus des rues animées, des places bondées. Chaque coin de la ville est empreint de souvenirs : des rires échangés, des larmes versées, des promesses faites. Je vois la vie continuer, indifférente à ma mort. Les enfants jouent au football dans la rue, les vieux s'installent pour discuter, et les femmes, avec leurs paniers colorés, s'affairent dans les marchés. C'est une danse perpétuelle, une célébration de l'existence.

Je réalise alors que je ne disparais pas, mais que je deviens quelque chose de plus grand. Mon essence se fond dans le tissu de cette ville, dans les cœurs de ceux qui m'aimaient. Je suis là, toujours présente, même si je ne suis plus visible. Chaque sourire, chaque larme est une partie de moi qui vit à travers eux.

Je suis l'âme témoin, l'écho des rires passés, la mémoire des étreintes perdues. Mon dernier souffle n'est pas un adieu, mais un changement. Je m'envole, légère comme une plume, prête à explorer les profondeurs de l'existence, à revivre chaque instant, à chaque battement de cœur de ceux qui m'entourent.

Et alors que le soleil se lève sur Lomé, illuminant la ville de ses rayons dorés, je comprends que la vie continue. Je suis ici, libre, prête à embrasser mon nouvel être, à devenir le gardien des souvenirs et l'écho des rires, dans cette éternité qui commence maintenant.

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