Chapitre 5 : Dernière Souffrance.

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  Adam donna son premier souffle dans une pièce lugubre et esquintée. Il n'y avait aucun meuble pour remplir l'espace, sinon un vieux matelas abîmé et froissé. Vétuste et abandonné, l'appartement ressemblait à un squat pour junkies. La moquette portait des traces de brûlure, des fils électriques se présentaient à nu, des moisissures se développaient dans les murs, des draps empêchaient la lumière de traverser les fenêtres : un triste endroit pour une femme enceinte. Les lampes vacillantes rajoutaient au tout un sentiment d'insécurité à l'atmosphère troublante de l'endroit.

 Dégoulinante de sueur, la femme était sous l'emprise d'une grande quantité d'analgésique. La captivité de la femme s'étirait depuis des années, et tout espoir avait déserté son visage. Son regard, autrefois vif, était devenu une mer calme et dénuée de lumière. Les contours de son visage, marqués par la douleur et la fatigue, témoignaient d'une existence désespérée et sans fin. Elle semblait condamnée à une vie de silence et de solitude, chaque jour effaçant un peu plus la trace de la femme qu'elle avait été, jusqu'à disparaitre entièrement sous ce masque de tourment. Cela devait faire plusieurs mois qu'elle se préparait à cette nouvelle douleur, et à chaque contraction, les sévices lui déchiraient les entrailles. Les rafales de vent sifflant à travers les carreaux brisés couvraient ses hurlements.

  La seule chose qui accueillit le nouveau-né était une couverture poisseuse et une flaque de sang chaude et collante. Aucune infirmière, aucun médecin, personne n'était là pour recevoir ce fragile petit être. Alors que le cordon ombilical reliait encore le bébé et sa génitrice, celle-ci sangla son bras à l'aide d'un bout de tissu et s'enfonça une aiguille d'un coup sec. Les effets anxiolytiques agissaient au même moment que l'assaut d'une nouvelle douleur insoutenable. Elle pensait que le travail était fini et n'avait plus de force pour continuer. La fatigue se mêlant à la drogue, la mère s'était endormie en chuchotant doucement :

« AndI say, hey hey hey hey,

I said hey, what's going on?»

  Puis le silence.

  Un long moment s'était écoulé avant que quelqu'un n'entre dans l'appartement. Le soleil était presque couché, laissant sa douce lumière du soir s'éteindre. La porte d'entrée grinça,laissant apparaître un homme grand et mince, vêtu d'une chemise et d'un pantalon sombre. Ses cheveux noirs étaient coupés court, tels un détenu. Ses pommettes larges et son ossature carrée lui donnaient l'air d'un méchant sorti tout droit d'un film. Il enleva ses chaussures et les plaça soigneusement à leur place, sur le sol, près de la porte.

  Après un moment de réflexion, il se dirigea vers la fenêtre du salon et regarda la rue en contrebas tout en s'allumant une cigarette. Seul le bout rougeoyant de la clope venait percer les ténèbres de la pièce. Ses yeux sombres et malfaisants fixaient la femme en détresse. Son manque d'émotion, mêlé avec la fierté qu'il dégageait, le rendait sinistre. Son cœur l'avait abandonné depuis longtemps.... L'homme était partiellement recouvert de sang. D'après l'absence d'expression sur son visage, cela devait être normal, voire habituel. Sans même analyser ce qui se passait dans cette pièce sombre, il alla vers la salle de bain. La porte fermait, seul le bruit de l'eau venait perturber le silence de l'appartement. Une fois propre, il sortit de la pièce d'eau entièrement nu. En s'approchant de la femme, la vue du bébé ne l'inquiéta pas. Il le suspendit par la jambe et le tira, arrachant le cordon ombilical qui le reliait à sa mère, puis le posa dans un coin plus éloigné. Il retourna la femme inconsciente et lui arracha la couverture qui couvrait le peu de son intimité. Il l'attrapa par le bassin et la remonta vers lui. Les fesses relevées, l'homme combla ses besoins animaliers. Le corps de la jeune femme était tel un pantin, remuant d'avant en arrière. Elle n'avait ni ouvert les yeux, ni montré aucune résistance à cet acte sexuel. Elle était simplement morte et cet homme souillait son corps sans aucune culpabilité. Même face à ce silence éternel, il ne se retint pas de lui cracher des insultes, ses mots venimeux résonnant dans la pièce comme un écho macabre. Ses grognements de plaisir s'élevaient, brisant le silence de la pièce, tandis que l'acte se faisait de plus en plus frénétique. Pour lui, cette intensité n'était qu'un frisson recherché, une perversion où l'absence de vie dans le corps qu'il violait ajoutait à son excitation malsaine. Il les avait toujours préférées ainsi, endormies, sans défense, ni vie.

  Une fois s'être vidé en elle, il l'a poussa sur le côté. Sans s'attarder une seconde de plus, il se rhabilla avec une précision militaire, chaque mouvement exécuté avec une exactitude rigide. Ses gestes, rapides et sans hésitation, trahissaient une routine méticuleuse. Le moindre pli, le moindre bouton était ajusté avec la même froide détermination. Il arriva devant la porte pour remettre ses chaussures et, sans même se retourner, claqua la porte, laissant son fils et la mère à leur sort funeste.

  Les jours passèrent et la fin de cet interminable cauchemar arrivait pour ces deux âmes égarées. Le concierge, désespéré de récupérer un maigre loyer, avait forcé la porte de l'appartement délabré. Ce qu'il découvrit à l'intérieur le hanterait à jamais: deux corps inertes, allongés sur le sol froid. La femme, une inconnue à l'identité floue, avait succombé à une overdose. Autour de son bras encore marqué par la seringue, les traces de son dernier combat s'effaçaient peu à peu, emportées par l'oubli. 

  À cet instant, tout alla très vite. Le concierge appela les secours et la police. Ils arrivèrent sur les lieux du crime, s'affairant dans une routine triste et sinueuse, comme si chaque intervention n'était qu'une réplique d'un mauvais film. Une femme de plus, couchée sur le sol froid, victime des ombres de la drogue. L'odeur âcre du désespoir flottait dans l'air, tandis que les sirènes retentissaient encore dans les ruelles obscures. Les policiers prenaient des notes, scrutant chaque détail, chaque indice qui pourrait les mener vers une vérité qu'ils pensaient déjà connaître. Les murs, témoins silencieux de tant de drames, semblaient absorber la peine qui s'y exprimait. Mais alors qu'une atmosphère pesante régnait, une parole d'espoir brisa le silence lugubre de l'appartement :

- Il respire ! Cria un secouriste à travers la pièce, la voix tremblante d'émotion.

  Contre toute attente, le nouveau-né qui se trouvait là, à moitié enfoui sous des couvertures sales, était encore vivant. Ses petites lèvres bleutées s'ouvraient et se fermaient faiblement. Le froid glacial de la pièce semblait l'avoir épargné, comme si un ange avait veillé sur lui dans l'obscurité la plus totale. Les regards se croisèrent, incrédules. Comment un si petit être pouvait-il encore lutter, entouré de mort et de désolation ? Le silence s'abattit, seulement brisé par les précipitations des sauveteurs.

  Adam, ainsi l'avait-on nommé, avait été sauvé de justesse. On le surnommait déjà le « bébé miraculé ». Fils d'une mère junkie et d'un père inconnu, son avenir semblait n'avoir été qu'une suite de malheurs, une page noire qui se tournait enfin.









« Et je dis, hey hey hey hey, Je disais hey, que se passe-t-il ? »



« What's Up », 4 Non-blondes   

Les Pivoines Du MalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant