L'ÉCLAT DU PASSÉ

Chapitre 5 - Samir

Je suis accoudé à la fenêtre, une clope à moitié consumée entre les doigts, observant la cité qui s'étale devant moi. Ça fait plusieurs jours que je lui ai envoyé ce message, cette petite blague, mais toujours rien. Pas une réponse. Pas un mot. Imany ne semble pas avoir réagi comme je l'espérais. Et ça commence sérieusement à me bouffer. Elle m'ignore complètement.

Depuis notre rencontre sur l'aire de repos, je ne l'ai pas revue. Enfin, pas de près. Elle loge dans l'immeuble de ma tante, à deux pas d'ici, et je l'ai repérée plusieurs fois. Elle sort avec ses cousins, va chercher du boulot en ville, mais elle trace sa route sans savoir que je suis là, que je la surveille. D'accord, c'est peut-être malsain. Mais quelque chose chez elle m'obsède. Cette manière qu'elle a de m'ignorer, de ne pas céder à mes petites provocations, ça me pousse à en vouloir plus.

Je ne l'ai pas encore revue en face à face, mais j'ai réussi à mettre la main sur son numéro. C'était facile. Elle avait mal verrouillé sa voiture, s et comme d'hab', je n'ai pas pu résister. Un coup d'œil à l'intérieur, un bout de papier avec son numéro gribouillé dessus, et voilà. Depuis, je me suis amusé à lui envoyer ce fameux message, mais c'était peut-être une connerie de ma part. Elle n'a pas réagi comme je le voulais.

J'écrase ma clope dans le cendrier et me dirige vers la cuisine. L'appart est en bordel : des cartons, des fringues, et surtout des dossiers de mon business. Un business qui prend de plus en plus d'ampleur ces derniers mois. Au départ, c'était de la petite contrebande, des affaires locales sans grand risque, mais là, c'est différent. Les livraisons sont plus grosses, les clients plus dangereux. Mais ça, c'est rien pour moi. J'ai toujours su m'adapter.

Lucas, mon meilleur pote, est celui qui gère les aspects techniques. Moi, je suis l'exécuteur. On forme une bonne équipe, lui avec sa tête froide et moi avec mes couilles. On a monté un réseau solide. Mais plus ça grossit, plus la pression monte. Y'a les flics à éviter, les concurrents à surveiller, et toujours cette envie d'aller plus loin. On est au bord d'un gros coup, un accord qui pourrait changer la donne. Mais ça, c'est pour plus tard.

Je me sers un whisky. Ce truc me calme les nerfs. Et pourtant, j'ai du mal à décrocher de mes pensées. Imany. Elle me hante, cette fille. Pourquoi elle ne mord pas ? Pourquoi elle reste silencieuse ? Elle doit bien savoir que quelque chose cloche. Et moi, j'ai pas envie de la laisser filer. Elle ne sait même pas que je la surveille. Pour elle, je suis juste un inconnu qu'elle a croisé une fois. Mais ça va changer.

Soudain, je vois Lucas arriver en bas, dans son vieux pick-up cabossé. Il monte rapidement et entre sans frapper, comme d'habitude. Il remarque direct que je suis ailleurs, et il se fout de ma gueule.

— Toujours sur ton truc avec la meuf de l'aire de repos ? dit-il en allumant une clope. Sérieux mec, t'es à fond là-dessus. Tu comptes la mater longtemps ou tu vas bouger ?

— Je gère, je réponds en haussant les épaules. J'attends le bon moment.

Lucas rigole, il pose un sac sur la table, rempli de billets. C'est le fric du dernier deal qu'on a fait. On roule bien en ce moment, mais lui, il est pragmatique. Toujours à voir les choses sous un angle rationnel.

— Franchement, tu devrais la lâcher. Si elle répond pas, c'est peut-être qu'elle sait qui tu es, ce que tu fais. Les filles comme ça, elles se barrent quand elles sentent le danger.

Je le regarde, un peu agacé.

— Elle sait rien. Elle se doute de rien. Elle est juste trop occupée à chercher du boulot ou à s'occuper de ses cousins.

Lucas souffle une volute de fumée et hausse les épaules.

— Peut-être, mais tu sais ce qui arrive quand tu mélanges affaires perso et business. C'est jamais bon. Et là, on est sur quelque chose de gros. T'as vraiment envie de te prendre la tête avec une meuf en plein milieu de ça ?