MARCUS,
"C'est encore une nuit de terreur que les habitants du centre-ville de Marseille ont endurée. Leur sommeil, une fois de plus, brisé par les déflagrations, les cris perçants et les sirènes des forces de l'ordre, impuissantes face à cette nouvelle guerre de territoires entre gangs..." résonne la télévision du salon, la voix monotone contrastant cruellement avec l'enfer qui s'est abattu dehors.
— T'es vraiment douée, meuf ! s'exclame ma petite sœur Maria, des étoiles dans les yeux, admirant Oria assise à ses côtés sur mon canapé.
Je soupire, amusé malgré moi. Même si je ne suis pas totalement objectif en ce qui concerne Oria, ma petite amie, je dois bien admettre qu'elle est efficace. Elle réussit à brouiller les pistes, à maintenir l'illusion que les quartiers nord et sud sont encore en guerre. Pourtant, tout est sous contrôle. Elle couvre mes arrières d'une main de maître avec ses reportages pas tout à fait remplis de vérité mais cela peut de monde sont au courant ...
— Arrête, tu passes ton temps à défendre nos hommes devant un juge, murmure Oria, le rouge lui montant doucement aux joues.
Je secoue la tête avec un sourire amusé. Elle fait toujours ça, minimiser ses talents pourtant elle mérite les éloges que lui lance ma soeur. À mes côtés, mon frère Adrian me lance son paquet de cigarettes avec un geste nonchalant. Une invitation silencieuse à partager un moment sur le balcon. La nuit est tombée depuis plusieurs heures, mais en bas, devant la barre d'immeuble en apparence délabrée que j'occupe, des gamins jouent encore au ballon comme nous le faisions nous-même. Leurs rires résonnent sous la lumière crue des lampadaires fraîchement installés.
Je prends une clope et l'allume avec le briquet qu'Adrian me tend. Je me penche contre la rambarde, sentant le métal encore tiède sous mes avant-bras, vestige de la journée bouillante que nous avons eue. Le contraste entre la chaleur du jour et la fraîcheur de la nuit me fait frissonner, mais ici, tout semble si calme, presque irréel après tout ce que nous avons traversé.
— Tu as vu "le démon" aujourd'hui ?
La question d'Adrian me prend de court. Je fronce les sourcils, surpris. Il n'a jamais été le plus grand admirateur de mon meilleur ami. Même si Ange nous a prouvé sa loyauté maintes et maintes fois, Adrian reste méfiant, comme si quelque chose chez lui le dérangeait. Et pourtant, cela fait dix ans qu'Ange marche à mes côtés, fidèle, sans jamais faillir.
Je secoue la tête en réponse, et un léger malaise s'installe en moi. Non, je ne l'ai pas vu. J'avoue que cela m'inquiète. Toute la journée, je lui ai envoyé des messages, je l'ai appelé à plusieurs reprises, mais aucune réponse. Ce silence, je l'ai vu venir. Si je peux compter sur Ange 364 jours par an, le 20 juin est une exception. Ce jour-là, comme chaque année, il disparaît, puis réapparaît le lendemain, comme si de rien n'était, comme si cette journée n'avait jamais existé.
Je n'ai jamais su pourquoi le 20 juin compte tant pour lui. Il n'en a jamais parlé, et malgré les années, il n'a jamais voulu se confier là-dessus. C'est un fardeau qu'il porte seul, et cela semble peser lourd sur ses épaules. J'aimerais pouvoir alléger sa peine, comme lui le fait si souvent pour moi. Surtout lorsqu'Oria, avec son insistance, veut que nous nous marions, et que je m'y oppose catégoriquement. À chaque fois, Ange est là pour apaiser mes doutes, pour me soutenir, mais ce 20 juin, il est inatteignable. Et ça me tue de ne pas pouvoir lui rendre la pareille.
— Et arrête de lui donner ce surnom, ralais-je.
Adrian écrase sa cigarette dans le cendrier avec un geste sec. Il tapote doucement mon dos, un geste silencieux de camaraderie, alors que sa voix rauque appelle déjà notre petite sœur. De loin, j'entends Maria saluer Oria, et quelques secondes plus tard, elle me lance un rapide "à plus" avant de disparaître. La fumée s'échappe lentement de ma bouche tandis que la porte d'entrée claque derrière eux, laissant un silence lourd, mais étrangement apaisant, envahir l'appartement.