5 - LE POIDS DES MOTS

1 0 0
                                    

" Lorsque quelqu'un frappe un tapis, les coups ne sont pas portés contre le tapis, mais contre la poussière qu'il contient ". Rûmi

- Je peux vous offrir un verre de vin ? me dit le serveur.

Il était brun, 1m80 pas plus, une barbe de quelques jours et des cernes bleutées plutôt marquées.

- C'est très gentil, mais je ne bois pas d'alcool, répondis-je en esquissant un sourire.
- Ah bon, par goût ou du fait de votre confession ? demanda-t-il.

J'ai fini par lui expliquer qu'il s'agissait d'une intime conviction animée par ma foi et nous avons poursuivi la discussion.


Croyez-le ou non, ce matin-là, Zayn, de son prénom, m'avait expliqué qu'il peinait à donner du sens à son travail, à sa vie. Tout naturellement, il m'expliquait s'intéresser à la sophrologie, à la méditation. Se disant "croyant mais non pratiquant", il reprochait à sa communauté de n'être "que dans une pratique de façade, sans profondeur".


Les paroles dévastatrices et les remontrances de son entourage l'avaient fait s'éloigner de toute pratique religieuse, or il se considérait comme étant "un être profondément spirituel". Il se sentait vulnérable et incompris car il voulait comprendre le pourquoi du comment, refusant de suivre les pratiques littérales qui lui avaient été inculquées. "Il ne comprennent pas que j'ai besoin de donner un sens à mes actions" murmurait-il. Les mots "traître", "vendu" étaient devenus son quotidien lorsqu'il daignait se rendre au domicile familial. La seule raison de s'y rendre était celle qui l'avait "portée pendant neuf mois".


Chaque phrase avait tatoué son esprit à l'encre noir : "Tu devrais craindre Dieu, à 30 ans, ne pas faire tes prières, tu as perdu 30 ans de ton existence, tu finiras sûrement en enfer..."


Je me mis à penser au poids des mots sur un individu.


La parole se veut noble, je ne parle pas parce que j'ai envie ou besoin de parler, mais parce que l'autre à besoin d'entendre. C'est un acte de générosité et non pas un acte égoïste où je me décharge de ce qui me fait souffrir. La parole se veut chaude et scintillante, telle une étoile qui viendrait se greffer à un cœur en peine. La parole est un réconfort. Mais la parole intérieure démange dira Victor Hugo. A trop s'exprimer, elle en devient brûlante. Laissons une place au silence qui ne demande qu'à perdurer. Soyons vigilants à nos mots pour éviter de créer des maux.

Après un long silence, Zayn entra dans un monologue et me fit part de ses pensées les plus intimes. Je l'en remerciais. Vous comprendrez vite pourquoi, en lisant ces quelques gisements intérieurs, tellement familiers et à la fois tellement regrettables...


- Vous savez quoi, M'dame, j'en ai plus qu'assez des jugements de façade !


C'est vrai ça, il est drôle de voir comme les personnes qui porteront un jugement sévère sur toi seront souvent celles qui n'ont jamais fait l'effort de sortir de leur zone de confort. Celles qui blâmeront ton ouverture d'esprit et te démontreront par A+B que tu t'éloignes du droit chemin, ô combien toi le mécréant tu t'égares.


Apprendre des choses nouvelles est loin d'être leur priorité à tel point qu'ils préfèrent s'enraciner dans une routine douillette, loin de toute complication. Communautarisme, sur-traditionalisme et déni sont leurs maîtres mots.


Au premier abord, tu sais, ils sembleront irréprochables. Mais à qui revient le plus grand mérite ? À celui qui a tenté au risque de se faire mal, tout en restant fidèle aux valeurs de sa foi ? Qui par son expérimentation a pu intégrer une zone d'apprentissage nouvelle lui permettant de découvrir les différentes facettes du monde qui l'entoure ?


Ou à celui qui, par peur du changement, et par peur de découvrir sa réelle nature, opte plutôt pour un rejet catégorique de toute nouveauté.


*Il lâcha un soupir et me toisa d'un regard profond*


- Vous en pensez quoi ?

Mi-intimidée, mi-compatissante à ses dires, je fis la moue et ne sut trop quoi répondre. Me livrer à un inconnu, à deux pas de mon lieu de travail... L'idée ne m'enchantait pas vraiment. Puis il poursuivit :

- Je ne vous jugerais pas.


Je jetais un rapide coup d'œil à ma montre et répondis d'un air béat : "je comprends, restez-vous même, c'est l'essentiel après tout", puis je m'empressais de quitter le café. J'étais devenue experte dans la fuite, les paroles sans fond et le faux semblant.


En sortant, je me suis trouvée lâche et pensais à ce que j'aurais pu lui répondre...

Tribulations d'une zèbre musulmaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant