7 - LA QUÊTE IDENTITAIRE

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Votre tâche n'est pas de chercher l'amour mais de chercher et de trouver toutes les barrières que vous avez érigées contre lui à l'intérieur de vous. Rûmi


Cette journée pleine de vérités n'avait pas prévu de toucher à sa fin. Après une réunion qui n'en finissait plus avec mon client, je fis le trajet inverse pour rentrer chez moi. Une fois rentrée à la maison, je passais un instant au téléphone avec ma mère. Nous échangeâmes comme à notre habitude quelques futilités, puis j'eus droit à son sempiternel discours, j'ai nommé : le mariage.


Il était inconcevable pour ma mère qu'une femme maghrébine, qui plus est trentenaire ne soit pas mariée.


- Tu comptes attendre notre mort ? Avec tous les hommes qu'il y a sur cette planète, ce n'est pourtant pas si compliqué ! Tu agis comme si c'était la mer à boire.


Je pensais à cet instant que j'aurais préféré me noyer dans la mer plutôt que d'avoir à endurer quotidiennement les sérénades de ma mère.


- Ayna, attends-tu d'être vieille fille, et de ne plus plaire à personne ? Que vont penser les gens de moi ? Tu devrais prendre exemple sur ta sœur, ou ta cousine Zaynab, elle s'est mariée jeune elle au moins et elle a donné à son époux deux beaux enfants dont l'un vient d'entrer à l'université. Tu t'imagines. Si seulement tu m'avais écoutée... Et puis ce garçon, médecin, que nous t'avions présenté, « would nass », c'est un fils de bonne famille. Comment s'appelait-il déjà ?

- Maman, Aïmen est un hypocrite, couplé d'un abruti sans nom et ...

Je n'eus pas le temps de terminer ma phrase que la voilà qui ré-enchaîna...

Je l'imaginais me toisant avec insistance d'un regard dont seules les mamans africaines ont le secret.


- Aïmen, c'est ça ! Qu'il était posé, élégant et courtois. De toute façon tu ne le méritais pas. Et bien reste toute seule, sotte que tu es. Il a épousé ton amie d'enfance, la fille du concierge.


Après un long silence, elle lâcha un soupir et poursuivit...

- Ma pauvre fille, tu es maudite. Trente-quatre ans, que vais-je bien pouvoir faire de toi ? Nous faisons des enfants pour qu'ils s'occupent de nous et au final, c'est le contraire. Je ne serais apaisée qu'une fois que tu seras mariée.

- Maman, je suis épuisée. Comment vas-tu ? As-tu pensé à contrôler ton diabète et à prendre tes médicaments ? Et papa, comment va-t-il ?

- Si vous ne me causiez pas autant de soucis toi et ton frère, je serais en forme.

Elle toussa bruyamment et feint de s'étouffer de rage. La culpabilité était l'arme infaillible de ma mère pour avoir le dernier mot. Mais à vrai dire, j'en avais fini de me défendre. Je n'espérais plus changer la mentalité de ma mère. Il était pour moi plus efficace de me taire et de modifier la perception que j'avais de nos échanges. Merci la programmation neurolinguistique, pensais-je en esquissant un sourire en coin de lèvres.


Apparemment le sourire s'entend au téléphone...


- N'as-tu pas honte, je te parle sérieusement. Tu as étudié dix ans pour quoi au final, une belle voiture ? Une maison dont tu profites seule. Wili wili, que vont penser les gens de moi qui élève une fille zoufria (célibataire endurcie), qui vit seule. Tu sais ce qu'on dit des femmes célibataires carriéristes comme toi.... " Slama" !


Je voulais rétorquer que si les institutions musulmanes et les parents accomplissaient dignement leur travail, il n'y aurait pas autant de célibataires. Je voulais lui faire comprendre que ce fléau touchait aussi bien les femmes que les hommes, que si elle ne m'avait pas poussé à faire autant d'études j'aurais pu moi-même me marier jeune et...


Plutôt que de rappliquer bêtement, laissant ainsi une occasion à mon égo de s'enorgueillir, je me tus. Je fus mi-surprise mi-agacée de voir que j'en étais moi-même venue à penser que le célibat était une malédiction. Je terminais la conversation en m'excusant auprès de ma mère de lui causer du tort.


Il est vrai que ma carrière prenait beaucoup trop de place dans ma vie. Petite déjà, je nourrissais un rêve que je trouve aujourd'hui pauvre et tristement matérialiste. Je m'imaginais déambulant dans de grandes avenues , vêtue d'un tailleur qui soulignait mes formes, et suivait le mouvement des grandes enjambées que j'effectuais d'une démarche élancée et affirmée. J'allais ainsi démarcher de nouveaux clients, signer des contrats avec de grandes entreprises dans les quatre coins de la planète. Dans mon idéal, les aéroports et les gares étaient comme une deuxième maison.

Je n'éprouvais aujourd'hui aucune fierté d'en être finalement arrivée là. J'avais accompli ce rêve. À peine abouti, je m'en lassais déjà. J'ai d'ailleurs toujours eu cette fâcheuse tendance à me lasser des choses dès lors que je les obtiens. Parfois même, la simple perspective de pouvoir prévoir ce qui venait me suffisait à me satisfaire, puis à me lasser presque simultanément. Pour qui me prenais-je ? J'avais intégré intérieurement que détenir un tas de choses matérielles est ce qui me permettait de contrôler ma vie. Après tout, j'avais durement travaillé pour en arriver là, c'était mérité. Je détestais cette facette de ma personnalité. Cette capricieuse exacerbée qui pensait tout savoir mieux que personne.


Aujourd'hui, cette indépendance durement acquise était la principale raison qui faisait fuir les hommes qui m'intéressaient. M'intéressaient-il ? Ou plutôt étaient-ils parfaits aux yeux de ma mère ? Je ne sais plus. Ces hommes ne s'imaginent pas un instant que leur future femme puisse avoir un salaire plus élevé que le leur. Ils aspiraient tous à être responsable du foyer et tenaient à accomplir ce rôle. J'avais même fait la rencontre d'hommes à la recherche de femmes qui pouvaient à contrario les entretenir. Où va le monde me pensais-je désespérée. Mais quel est le rôle de la femme, et celui de l'homme ? Je n'en savais à vrai dire absolument rien.

Il est vrai que mon mode de vie actuel pouvait surprendre. Il était d'ailleurs rare que je croise lors de mes déplacements d'autres femmes. Je travaillais dans un milieu d'hommes et effectuais les mêmes tâches.


Perdue entre mon envie de trouver l'homme qui saurait prendre soin de moi, cet idéal préconstruit par mes soins, et le contraste avec les hommes que je côtoyais, il m'arrivait souvent de broyer du noir.


- Tu attires ceux qui te ressemblent, m'avait-on dit.


Avec du recul, il est vrai que tous les hommes qui me convoitaient étaient des cadres supérieurs, carriéristes, s'en vantaient parfois et imaginaient leur vie à l'occidentale, une vie à la "moite-moite". Je repensais à une phrase que m'avait dit l'un d'entre eux lors d'une rencontre qui plutôt qu'un rendez-vous galant s'était soldé en un véritable calvaire :


- Je veux une femme qui travaille afin qu'elle puisse contribuer au paiement des charges du foyer.

Choquée j'avais composé "9" sur mon téléphone et avait envoyé ce message à Jade, mon amie d'enfance. Il s'agissait d'un code que l'on avait établi pour pouvoir s'extirper en douce d'un rencard foireux. Comme le stipulait le mode opératoire de notre "stratégie fuite", Jade vint à mon secours en m'appelant. Elle prétendit avoir fait une chute en scooter et sollicita mon aide immédiate. L'excuse n'était pas très réfléchie, d'autant plus que Jade n'avait pas de scooter, mais je saluais sa réactivité.

Je poursuivais la stratégie en m'en allant, prétendument confuse de le quitter aussi précipitamment. Mon amie avait besoin de moi. On se rejoignait aussitôt dans un café pour débriefer du plan catastrophe.

- Et il t'a dit ça sans pression ?! me dit Jade d'un air qu'elle voulait sérieux mais que ces joues gonflées, prêtes à pouffer de rire, démentaient.

- Je te jure, sans gênes. Et le pire c'est qu'il était sérieux !

- Tu l'a pêché où celui-là ? Et Chams, tu as des nouvelles ?

- Ne me parle plus jamais de lui. Café ou chocolat ? C'est pour moi, je te dois bien ça, ma sauveuse.

Nous passâmes le reste de la journée à échanger sur nos éventuels manquements, aux raisons pour lesquelles nous n'attirions que des "bras-cassés", pour reprendre l'expression favorite de Jade.

Nous avions fini par conclure que pour attirer des personnes qui nous ressemblent, nous devions déjà identifier qui nous étions et surtout qui nous voulions devenir. Depuis ce jour, je suis dans cette quête identitaire, cette quête de sens.

Tribulations d'une zèbre musulmaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant