Tribulations d'une zèbre musulmane

10 - LA DESTINÉE

« My soul is from elsewhere, I'm sure of that, and I intend to end up there ».

En attendant que Monsieur le poète daigne me répondre, il me fallait me préparer. Je devais me rendre à Londres pour dispenser une formation. Lessive, repassage, préparation des itinéraires de voyage, réservations d'hôtel, location de voiture... toujours le même train-train qui m'épuisait de jour en jour. Je m'étais toujours imaginée suivre une superbe carrière professionnelle, au volant d'une belle allemande et pourtant, plus le temps passait, et plus mes priorités changeaient.

Bercée par le féminisme, j'avais toujours reproché à mes amies leur manque d'activité étant plus jeune. Elles aspiraient à un mode de vie calme, sans artifices, ne souhaitaient pas travailler et voulaient simplement un homme qui les entretiennent pendant qu'elles s'occuperaient du foyer et des enfants. Elles n'avaient étudié de longues années que pour satisfaire leurs parents, lesquels pouvant alors se vanter d'avoir une fille ingénieur ou avocate. Elles n'avaient finalement pas tort, m'en étais-je rendue compte trop tard ? De toute façon, trouver un homme qui accepte de prendre ses responsabilités n'était pas gagné...

J'imaginais Chams me répondre de sa voix douce, d'un ton insolent :

- Et toi Ayna, ne devrais-tu pas songer à te comporter comme une femme. Où t'emmèneront toutes ces choses matérielles ? Tu ne les emporteras pas dans ta tombe. Ne penses-tu pas que tu devrais songer à te reposer, laisse-moi prendre soin de toi, je saurais te satisfaire. Si tu as besoin de quoi que ce soit, il te suffira de me le dire.

Mais pour qui se prenait-il celui-là, mon père ? Mes tantes m'avaient toujours conseillée d'être indépendante financièrement.

- Ne dépend jamais d'un homme et sois débrouillarde, me répétait aussi mon père.

Il était hors de question que je reste à la maison sans rien faire, je serais incapable de supporter cela. Mes projets pour la suite étaient tracés. Je souhaitais être à mon compte, me réorienter dans un secteur plus stable. Je ne souhaitais pas qu'une nounou inconnue élève mes enfants, ni courir partout et rentrer tard au domicile, tête enfarinée et épuisée en même temps que mon homme. J'aimerais prendre le temps de prendre soin de moi, de ma famille si Dieu le veut.

Je ne pensais pas comme ça il y a quelque temps, j'étais plus axée sur ma carrière, ma carrière, mais le décès de mon amie Aminata et ma rupture avec Chams m'avaient fait changer d'avis.

- Tu vas t'auto-suffir à force ! En tout cas, moi, je n'ai pas envie de finir senior manager à 40 ans, faire des horaires de fou, frôler le burnout, ce n'est pas une vie, me disait Jade.

Pour être honnête, ces chamboulements me faisaient douter, me remettre en question. Je ne savais pas trop comment envisager la suite de ma carrière professionnelle. Mais après tout, advienne que pourra, il se passera ce que décidera Allah pour moi. Mais quelle est ma part de responsabilités ? On parle de destin, de mektoub, mais n'ai-je aucun pouvoir, aucune capacité de le faire varier ? Tout est-il vraiment tracé depuis le berceau et même avant ?

Un ami geek m'avait dit :

- Le mektoub c'est comme un programme de développement avec des 1 et des 0, une macro géante paramétrée en amont avec une multitudes de choix et différentes entrées. Si tu prends l'entrée A, alors tu suivras tel ou tel chemin, et si tu prends la B, elle te mènera vers cette intersection, puis vers celle-là et enfin celle-là, me disait-il en croquissant un schéma que seul lui comprenait.
J'ai toujours été admirative face à sa capacité à rationaliser et imager les choses complexes pour me les faire comprendre.

Tout ce que je savais à cet instant, c'est que ces déplacements professionnels répétitifs à travers le monde m'avaient tout de même nourrie. Je voyais les choses différemment, j'avais gagné en ouverture d'esprit et j'avais vu de nombreux paysages, côtoyé des personnes issues de coutumes différentes avec des mœurs qui variaient d'une région à une autre.