" Comment connaître les difficultés de l'être humain, si vous êtes toujours en train de voler vers la perfection ? " Rûmi
Ma quête vers le bonheur commence car j'en ai décidé ainsi. Je décidais d'avancer plutôt que de ressasser inlassablement mes manquements. Peut-être avais-je agi ainsi, peut-être n'avais-je pas été assez comme ceci, ou trop comme cela. Pourquoi mes erreurs me pesaient-elles autant sur le cœur. N'avais-je pas le droit aussi de me tromper ? D'être imparfaite ? De décevoir ? Depuis ma tendre enfance, je m'étais ancrée en tête que l'échec se rapprochait de la mort et que je ne voulais pas mourir.
Pourtant j'avais jusqu'alors essuyé bien des échecs et j'étais pourtant bien vivante. Vivante certes mais étais-je là, présente, dans l'instant présent ? Me sentais-je vivre ? Étais-je moi-même ? Que voulais-je réellement ?
Je prenais progressivement conscience que dans ma peur de l'égoïsme j'avais fini par vivre en fonction de ce que l'on attendait de moi, de ce que l'on avait jugé bon ou mauvais pour moi. J'étais dans le don de moi, de mon être tout entier à l'autre, comme si je me jugeais incapable de prendre une telle responsabilité, celle de me supporter. C'était en réalité plus simple de laisser les autres décider pour moi.
J'étais égoïste mais pas dans le sens où je pensais l'être. Je pensais qu'en m'adaptant aux désirs de l'autre, je leur facilitais la tâche. Mais en réalité, j'avais juste peur de faire face à mes réels besoins. Je trouvais qu'il était plus simple de m'oublier au profit de l'autre. J'avais vécu ainsi plus d'une vingtaine d'années surfant d'un désir à assouvir à un autre. Celui de ma mère, de mon père, de mes frères, mes sœurs, mes professeurs, mes collègues, ma hiérarchie.
Je dois avouer que j'ai l'impression de vivre dans le passé, parfois dans le futur car j'aime anticiper les choses, mais le présent m'était tout à fait inconnu...
Il était bien trop douloureux de prendre le temps de laisser les émotions du moment me traverser, me transpercer. Étrangement, je me sentais bien dans cette douleur. Je pensais la mériter, je me sentais vivre au travers de mes propres émotions. Elles étaient sincères, authentiques, reflétaient mes ressentis, ceux qui n'appartiennent qu'à moi.
Ma dite hypersensibilité était incomprise par mon entourage mais je m'y complaisais car après tout il n'y a pas de règles dans l'émotion. Je passais ainsi aisément du rire aux larmes, des cris de colère aux épisodes de liesse. J'étais un boomerang émotionnel et le vivais bien. J'étais toutefois incapable de justifier cela. Je m'en contrefichais. Après tout, les autres se devaient de m'accepter telle que je suis. Mes émotions sont le reflet de mon être, s'ils ne les acceptent pas, ils ne me comprennent pas...et donc ils ne m'aiment pas. Et voilà que je redoublais d'efforts pour montrer combien j'étais travailleuse. J'aimais qu'on me complimente sur ma justesse, mon perfectionnisme, j'aimais que tout soit absolument irréprochable, carré.
J'étais pour une raison que j'ignore sans cesse animée d'une colère intérieure. Elle brûlait en moi comme le feu alimente le charbon. Je noircissais de l'intérieur, je m'en voulais. Un sentiment indescriptible qui liait la culpabilité et la honte. Honte d'être ce que je suis. La moindre imperfection me causait des migraines et il m'arrivait de devenir dictatoriale avec mon entourage. J'exigeais des autres ce que j'attendais de moi, mes idéaux et ma rigueur personnelle étaient la norme à suivre. Je me voulais droite, travailleuse et m'en donnais les moyens, pourquoi les autres ne le voyaient-ils pas et me renvoyaient sans cesse mes manquements, mes imperfections.
"Allez-vous faire voir ! ", pensais-je dans mon fort intérieur. "Ne voyez-vous pas que je me tue nuit et jour à être irréprochable, à vous correspondre". Mais ce n'est jamais assez... Que voulaient-ils de plus à la fin ?
Dans mon excès de rigidité, je tendais à m'éparpiller dans divers projets tout aussi déconnectés les uns des autres. Je recherchais quelque part un réconfort. Vers l'extérieur car mon intérieur semblait bien trop vide, bien trop profond pour que je m'y aventure. Je donnais l'image de papillonner mais j'étais à la quête de ma quiétude, ma complétude.
Je pensais alors à un message que Chams m'avait envoyé."Ayna, il y a peut-être une bonne raison pour que les choses soient comme elles sont. Les « mauvais » comportements ne sont pas constamment punis dans cette vie tu sais. Je t'aime parce que tu es toi avec tes imperfections. Je les aime tes petits défauts, ceux que tu cherches à gommer. J'aime tes valeurs et ton perfectionnisme exacerbé n'en fait pas partie.
J'aimerais que tu cesses de te comparer aux autres, que tu me laisses le droit à l'erreur sans vouloir les corriger dans l'instant. Je comprends tes colères, tes pulsions, mais je suis épuisé de toujours devoir porter cette casquette que tu m'as assignée. Celle de l'homme droit, responsable. Je ne suis pas irréprochable, je ne suis pas idéal et j'aimerais sincèrement que tu le comprennes car sans cela nous ne pourrons pas avancer. Tu persistes à croire que ta droiture te rend aimable, appréciable pourtant ce sont tes erreurs qui nous ont rapprochés, tes faiblesses qui m'ont rendu fou amoureux de toi. Et si, plutôt que de rester focalisée sur ton quotidien, tu t'ouvrais à d'autres horizons, à d'autres projets. Tu en es capable, ton esprit est bien moins étriqué que ce que tu laisses transparaître.
Je sais qu'après avoir lu ces quelques lignes, tu te morfondras certainement, te plongeras dans le ressentiment et la culpabilité, mais sache que je ne te veux aucun mal. Tu gardes pleinement le contrôle de toi-même et je ne cherche en rien à t'imposer quoi que ce soit. J'aimerais que tu développes envers toi-même cette compassion que tu m'as témoignée quand j'étais en difficulté, j'aimerais que pour l'espace d'un instant tu penses à toi, que tu sois moins critique envers toi-même. Détendons-nous, amusons-nous, acceptons-nous tel qu'IL a voulu que l'on soit.
Je t'embrasse.
Chams"
" Ayna, tu viens ? ", criait Jade dans sa petite mini-cooper jaune poussin, garée en bas de l'immeuble. Je m'empressais de descendre. Jade, je l'aime, c'est une des rares personnes avec qui je peux être moi-même en toutes circonstances.
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Tribulations d'une zèbre musulmane
SpiritualitéTribulation d'une zèbre musulmane est une fiction qui retrace le cheminement spirituel d'une jeune femme cadre asperger, trentenaire vivant en région parisienne. Ayna est née en France de l'union d'un père français et d'une mère marocaine. Son dévou...