« A truth can walk naked but a lie always needs to be dressed ». Rûmi
Le chalet était comme me l'avait décrit Jade : agréable et bien agencé. Des fleurs de lys et des jacinthes parsemaient le palier et une odeur délicieuse infusait l'air. Quelques mégots, à peine éteints, jonchaient le sol. Je ne fus pas surprise de voir Badr, paupières à demi-closes, baillant comme un loup, un café à la main.
- T'es enfin débout ? Pense quand même à essuyer la bave séchée que tu as sous la bouche, dit-il d'un air sérieux dont lui seul avait le secret. Puis il reprit son chemin vers la salle à manger comme si de rien n'était.
Badr était toujours enjoué mais de nature très calme. Il est du genre à ne pas dire un mot de la journée, puis à débiter ici et là quelques paroles profondes par intermittence.
La veille, nous nous étions adonnés à notre passe-temps favori : ressasser les souvenirs du passé. Il avait soigneusement veillé à n'aborder aucunes bribes de mon ancienne relation avec Chams. J'aimais sa dextérité et le respect qu'il me témoignait. Toujours à l'écoute, c'était l'épaule sur laquelle on pouvait s'appuyer, le confident. Je lui reprochais parfois même d'en oublier ses propres besoins. Ce à quoi il me répondait, toujours tout sourire, que son bonheur lui importait peu, tant que les siens se sentaient bien. Le bien-être mental et émotionnel de sa famille était son créneau de vie.
De son passé de délinquant, aux disputes de routines avec sa sœur parce qu'elle lui avait volé son jogging en cachette, nous passâmes en revue les moindres souvenirs, émotions et ressentis. Il n'oubliait pas de mentionner les conséquences de ses actes.
Comme cette fois où il n'avait pu se rendre à la piscine de peur de montrer sa peau tuméfiée des traces bleutées par les coups de ceinture de sa mère.
- C'était bien mérité, elle m'avait pris la main dans le sac à voler des téléphones pour les revendre. J'étais déjà un commercial de renom à cet âge-là, que veux-tu, nous narguait-il, d'un air insolent.
Ou encore cette fois où il s'était fait virer de l'école où il travaillait en tant que surveillant, pour avoir dessiné Jean-Marie Le Pen sur le tableau, insistant toute personne à le suivre dans ses "cours d'art plastique". C'était la "condition" pour espérer se voir retirer quelques heures de kholes, confiait-il, fier de lui.
Il tut toutefois ses multiples passages en garde à vue et en prison, comme si ces bêtises appartenaient à une autre catégorie, qui pour l'heure, ne nous auraient vraisemblablement pas fait sourire.
Badr avait seulement quelques années de moins que son frère et pourtant il était doté d'une maturité extraordinaire. Bien portant, il avait des facilités dans tout ce qu'il entreprenait et aussi étrange que cela puisse paraître, il culpabilisait presque de ses réussites. Pourtant il s'était toujours donné les moyens de répondre aux hautes aspirations qu'il avait.
- Tu sais Ayna, Il y a des jours où je me dis que la facilité n'a aucune saveur et que je me dois d'éprouver de la difficulté pour ressentir une quelconque satisfaction, m'avait-il confié un jour, inspiré.
C'est en réalité le mécanisme qu'avait développé son inconscient face à ce triste constat : certains sont piétons pendant que d'autres prennent l'ascenseur. Sa jolie tête basanée et ses origines orientales, on a beau en dire que l'on veut, ne lui permettront pas d'être parmi les plus rapides.
Et pourtant, c'était trop peu pour l'empêcher de croire, de rêver, d'avancer. La vie était pour lui un immense monopoly avec autant d'opportunités d'acquisitions et d'acquéreurs à connaître. Responsable achat dans un grand groupe aéronautique, il aspirait ardemment à se réaliser, à réussir aux yeux de tous. Je ne sais trop pourquoi, mais il attachait une grande importance au fait de toujours paraître actif, en action. Il est de ceux que l'on aimerait attacher à une chaise des heures durant. L'immobilisme était pour lui synonyme de passivité, de ce fait il ne pouvait se résoudre à ne rien faire.
La patience n'était pas son fort et il avait tendance à considérer que tout ce qui se rapprochait de l'émotionnel n'était en réalité qu'une vaine perte de temps. Il ne supportait pas que les choses s'éternisent, il fallait être efficace, faire les choses vite et bien pour rester compétitif. Pourtant il était a contrario doté d'une sensibilité que peu de personnes pouvaient discerner.
J'aurais aimé qu'il comprenne qu'il n'avait pas forcément besoin d'agir sur le monde pour être quelqu'un de bien. Sa personne et son être nous importaient bien plus que ses actions, toutefois il préférait être quelqu'un qui produit au lieu d'être simplement quelqu'un qui est.
Il préférait souvent afficher une bonne image, se concentrant ainsi sur ses tâches et objectifs, sans se soucier de ses sentiments. Mais que cherchait-il à travers cela ? Son succès allait-il lui permettre d'être aimé ?
Chams et lui étaient aujourd'hui en mauvais termes. Fier, Badr n'appréciait pas les multiples remontrances de son aîné.- Tu as peur de savoir qui tu es, donc tu essayes d'endormir tout le monde en jouant un rôle, en enjolivant la réalité. Tu as beau être pragmatique et organisé, ta réussite extérieure n'est que de la poudre aux yeux. Au fond de toi, il y a un vide intérieur. Tu as le droit de modérer ton rythme et tes ardeurs. Je t'aime pour ce que tu n'es pas, pour ce que tu accomplis abruti. Le vrai désastre ce ne sont pas tes échecs mais ta fierté, lui avait lancé Chams avant de se terrer dans un profond silence.
- Brunch en extérieur ! nous surpris Jade.
Je viens de découvrir une superbe adresse où ils servent des pancakes de folie ! Allons-y vite, ça ferme dans une heure !Nous nous exécutâmes et prîmes la route pour la vieille Abbey du coin, re-pimper en salon de thé cosy.
Nous montâmes au premier étage puis nous installâmes, attendant le serveur. J'eus le malheur de consulter ma boîte e-mail débordant d'urgences de tout ordre. Est-ce plus urgent que les pancakes au sirop d'érable qui allaient m'être servi pensais-je ? Non ! Bien évidemment que non !
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Tribulations d'une zèbre musulmane
SpiritualTribulation d'une zèbre musulmane est une fiction qui retrace le cheminement spirituel d'une jeune femme cadre asperger, trentenaire vivant en région parisienne. Ayna est née en France de l'union d'un père français et d'une mère marocaine. Son dévou...