21 - L'ART D'AIMER

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À peine servis, nous engloutîmes les pancakes encore tièdes d'une traite. Badr convia Ada, qu'il convoitait depuis quelques mois déjà, à nous rejoindre. Elle n'habitait qu'à quelques minutes d'ici.

Il régnait entre eux une relation particulière. Disons qu'ils s'aimaient à leur manière, l'une rationnelle et sans filtres, l'autre sensible et émotif.


Elle était plutôt sensible à conserver son espace vital, son jardin secret. Elle s'efforçait continuellement de garder une distance émotionnelle avec les autres, pour le plus grand regret de Badr qui n'aspirait qu'à une symbiose. Observatrice, elle participait peu à nos échanges et trouvait nos émotions et besoins incongrus.


Détachée des gens, des sentiments et des objets, Ada privilégiait le savoir et la vie intellectuelle. Elle aspirait à vivre dans l'intimité, la discrétion, voire le silence. Elle invitait Badr à prendre du recul, la connaître, la comprendre, à réfléchir pour trouver le pourquoi des choses. Et pourtant elle percevait toute action de sa part comme une intrusion délibérée dans son espace vital. Ce qui plongeait le jeune homme dans un paradoxe sans nom.


J'avais à vrai dire beaucoup de mal à m'attacher ou à comprendre cette femme qui nous trouvait "superflus, bruyants, trop émotionnels" et ne se cachait pas de le dire. Pensant bien faire, le pauvre bougre lui avait concocté une assiette de fruits sur laquelle il avait eu l'indélicatesse de préciser ces mots : " Je t'aime".


Jade et moi étions quant à nous bien installées devant le feuilleton qui s'offrait à nos yeux.

- Et c'est reparti pour un tour, il ne manque que les popcorns, gloussa-t-elle.


Il ne m'en fallait pas plus lorsque j'ai entendu le monologue d'Ada qui, à peine arrivée, avait déjà réduit le cœur de "Badr le conquérant" en cendres.


"Badr, je suis épuisée en fait, juste naze tu comprends ? Je ne veux être entourée que de verdure et d'eau. Je t'aime mais ta présence m'étouffe. Et puis qu'est-ce que c'est aimer ?
Je ne pourrais jamais t'aimer comme j'aime les roses, les pivoines, les germinis ou les renoncules. Mais peut être que je t'aime comme j'apprécie les œillets, les hortensias, les orchidées ou les tulipes.

Là, tout de suite, dans l'instant, je suis contente puis voilà que quelques minutes passent et je me dis que c'était plutôt plaisant d'être seule aussi.

Je ne comprends pas pourquoi on fait de la solitude un gouffre. Elle m'accompagne, me comprend, se tait, m'écoute, m'emporte même dans mes retranchements les plus profonds.

Ceux où je ne saurais me risquer, m'aventurer par peur de glisser dans une eau trouble que je ne connais pas. Il y a des jours où tu glisses, sans réellement savoir où tu vas, mais je ne dirais pas qu'ils sont semblables à ce truc intangible qu'est l'amour".


- ça se ressent, ça se vit, là dans ta poitrine, ne sens-tu donc rien ? essaya Badr, penaud.

"Non à vrai dire, si ce n'est un malaise de ne pas comprendre ce que tu me racontes. Un peu comme la gêne que l'on ressent après un torticolis dont on peine à se débarrasser. À peine quelques mois d'échéances et la voilà, la question fatidique, qui tombe encore : est-ce que tu m'aimes ? Donne-moi une définition de ce qu'est l'amour et je te promets d'essayer d'y répondre du mieux que je le pourrais".

Je perdais une énergie folle dans ma recherche de la perle rare. Et pour cause, je m'étais inscrite sur tous les sites de rencontres connus où chacun usait tantôt de blagues, tantôt de photos sur les voyages pour se démarquer.

Pourtant tous finissaient par se ressembler, tous adoptaient le syndrome du site de rencontre : se doter d'un panier vide que l'on orne de plusieurs artifices où s'entrelacent vrais critères et d'autres plus superficiels.

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Tribulations d'une zèbre musulmaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant