44- Révélation

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Je reste figée devant elle, incapable de réagir. Ma mère est là, plantée dans la cuisine comme si c'était la chose la plus normale du monde. Mon cœur bat à tout rompre, une centaine de questions me traversent l'esprit, mais je n'arrive pas à en formuler une seule. Frida semble tout aussi tendue, le regard fuyant. Quelque chose cloche.

— Qu'est-ce que tu fais là ? finis-je par articuler, la gorge serrée.

Ma mère s'avance d'un pas, les bras croisés. Elle a cet air calme et impénétrable qui m'a toujours énervée.

— Tina, on doit parler.

Je hausse un sourcil. Parler ? Parler de quoi, exactement ? De son absence ? De sa négligence envers son seul enfant ? De la façon dont elle a tourné le dos à ses responsabilités ?

— Je n'ai rien à te dire, répliqué-je froidement.

Je me détourne pour quitter la cuisine, mais sa voix m'arrête net.

— C'est à propos de ton père.

Je m'immobilise, le dos tourné. Je n'ai aucune envie d'entendre parler de lui. Pourtant, je me retourne lentement pour faire face à ma mère. Les sanglots de mon père résonnent à nouveau dans ma tête, ainsi que sa voix...

— Quoi, il est malade ? C'est pour ça qu'il joue les repentis ? Il veut mon pardon sur son lit de mort ?

Elle baisse légèrement les yeux, ce qui ne fait qu'alimenter ma colère.

— Alors, c'est ça... Il est en train de mourir, et tu penses que je vais lui accorder une sorte de rédemption avant qu'il parte ?

Je ne savais pas que j'étais capable d'être aussi sûre de moi face à ma mère. Elle a toujours réussi à m'intimider et à m'imposer son respect. Je sens ma respiration s'accélérer et mes poings se crispent le long de mon corps.

— Tina, ce n'est pas aussi simple... murmure-t-elle, visiblement mal à l'aise.

— Non, c'est très simple, au contraire ! J'ai grandi sans père, et maintenant qu'il est en bout de course, il pense pouvoir tout effacer avec quelques appels pathétiques. Mais je ne suis plus la petite fille que vous avez abandonnée.

Je la fixe, furieuse, mais elle reste impassible. C'est bien elle : la façade de l'indifférence.

— Tu n'as aucune idée de ce que j'ai traversé à cause de lui. Et toi, tu n'étais jamais là. Comment oses-tu revenir maintenant, me parler de lui ?

Un silence pesant s'installe. Frida se tient toujours dans un coin, visiblement mal à l'aise. Je sens que quelque chose de plus gros se trame, mais je n'arrive pas à deviner quoi. Ma mère prend une profonde inspiration avant de reprendre la parole.

— Ton père ne t'a jamais dit toute la vérité. Il y a des choses que tu ne sais pas... des choses que j'aurais dû te dire plus tôt.

Mon souffle se coupe. La vérité ? Quelle vérité pourrait expliquer tout ça ? Je sens que mon monde est sur le point de basculer une fois de plus, et cette fois, je ne sais pas si je suis prête à encaisser.

— Quelles choses ? je demande dans un murmure.

Elle s'approche de moi et pose une main tremblante sur la table.

— Je ne suis pas partie de mon propre chef, Tina. Ton père... il m'a forcée à partir. Il t'a fait croire que je t'avais abandonnée, mais ce n'est pas la vérité. Tu sais aussi bien que moi que c'était quelqu'un de violent.

Je la regarde, abasourdie. Je n'arrive pas à comprendre ses mots, ou plutôt, je refuse de comprendre.

— Quand je suis partie, il s'est marié avec une autre femme. Je ne supportais pas de te savoir seule avec eux, alors je me suis battue avec ta tante Roxanne pour avoir ta garde, et on a réussi.

Je sens le sol se dérober sous mes pieds, et je finis par m'asseoir sur la chaise de la table à manger. Pendant tout ce temps, je ne savais rien de ma vie ni de mes parents.

— Quand je t'ai revue après deux ans, tu étais tellement amochée, et c'était de ma faute. Je me sentais coupable et pas digne de toi, alors je t'ai laissée avec Roxanne. Puis, quelques années plus tard, je t'ai confiée à Frida parce que Roxanne n'arrivait plus à s'occuper de toi avec ses propres problèmes.

Ouais, elle n'avait pas besoin de gérer un problème qui n'était pas le sien. Je suis encore sonnée par ce que ma mère vient de m'annoncer, mais cette dernière ne semble pas en avoir fini.

— Quoi qu'il en soit, je ne suis pas là pour ça, mais il fallait que tu le saches.

— Laisse-lui le temps de digérer ça, intervient Frida.

Je me tourne vers ma tante, et elle me lance un regard compatissant. Je fronce les sourcils. Qu'est-ce qu'il y a d'autre à savoir ?

— Il est mort, déclare subitement ma mère.

Ma respiration se coupe, et je me tourne lentement vers elle. J'avais donc raison : il était sur son lit de mort. Je baisse la tête, et sans que je puisse le prévoir, des larmes commencent à dévaler mon visage. Je me lève brusquement et sors de la maison, bousculant Mia au passage.

— Tina... essaie d'intervenir Frida.

Je ne l'écoute pas et continue. Je ne sais ni ce que je fais ni où je vais. Je veux juste m'éloigner d'ici. Tout ce que ma mère vient de me dire forme un gros bordel dans ma tête.

Je grimpe sur ma moto. Je ressens le besoin de me libérer de tout ça. J'ai l'impression que je vais exploser d'une minute à l'autre. Je vois Mia sortir de la maison et venir vers moi, mais je démarre en trombe, faisant tomber mon casque que je n'avais même pas pris la peine de mettre.

Je roule vite, ignorant les panneaux limitant la vitesse à 60 km/h. J'ai probablement dépassé les 90 km/h. La vitesse m'apaise : le vent, le paysage qui défile à toute allure... Je veux aller encore plus vite. La route est peu fréquentée, il n'y a que quelques voitures que je réussis à éviter sans problème. À cet instant précis, je ne pense plus à rien. Je me sens juste libre.

Je tourne davantage la poignée, et la moto accélère. Soudain, un garçon apparaît de derrière une voiture, courant après son ballon, à moins de dix mètres de moi. Merde ! J'essaie de freiner à temps, mais la panique me fait perdre le contrôle du véhicule. Tout ce que j'entends, c'est le bruit des pneus crissant sur le goudron, suivi du choc brutal de ma tête contre celui-ci. Une douleur vive me traverse la nuque comme une décharge électrique, et je sens mes membres s'alourdir. Ma vision devient floue, et tout semble tourner autour de moi. J'entends des cris, lointains et étouffés, mais je suis incapable de bouger ou de parler. Puis, c'est le trou noir.

Un bourdonnement sourd résonne dans mes oreilles. L'odeur des désinfectants et des produits médicaux me frappe immédiatement. Mes paupières sont lourdes, mais je réussis à les ouvrir malgré la lumière agressive. Il me faut quelques secondes pour comprendre où je suis. Des murs blancs, des machines qui bipent... Je suis à l'hôpital.

J'essaie de bouger, mais une douleur vive me traverse la nuque, me faisant abandonner cette idée. Je tente de reconstituer les fragments de mémoire qui me reviennent : la moto, la vitesse, le vent sur mon visage... et le garçon. Est-ce que je l'ai touché ?

Je veux crier, mais aucun son ne sort de ma gorge. Mon souffle s'accélère, et la panique monte. Je presse un bouton près de mon lit. Une infirmière entre quelques secondes plus tard, un sourire doux sur les lèvres. Elle semble chercher à me rassurer.

— Bonjour, mademoiselle Peterson. Comment vous sentez-vous ?

Mais je n'ai pas le temps de répondre à cette question inutile. Je force les mots à sortir de ma gorge.

— Le garçon... Est-ce que je l'ai touché ?

L'infirmière se fige un court instant. Elle ajuste les machines, puis se redresse en me regardant dans les yeux.

Première quête Où les histoires vivent. Découvrez maintenant