Chapitre 16

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Ana

La Rochelle – 15 juillet 2022, 17h

— Non, je crois que ce n'est pas encore ça. Est-ce que je peux l'avoir sans les fleurs ?

Je pousse un soupir à peine audible, de concert avec la vendeuse. Nous échangeons un regard entendu, avant qu'elle ne retrouve son sourire commercial – et faux au possible.

— Je vais vérifier, se contente-t-elle de répondre.

Vu le nombre d'allers-retours qu'elle a déjà effectué durant les deux dernières heures, j'imagine que la quadragénaire connait par cœur le stock du magasin dans la taille de Séverine. De la robe sirène au modèle bohème en passant par la meringue/princesse, je crois que la future madame Gantier a tout envisagé. Tout critiqué, aussi. J'ignore encore pourquoi elle a insisté pour que nous l'accompagnions, puisque nos avis n'ont eu aucun impact sur ses choix. Elle semble accorder plus de crédit aux deux clones qu'elle nomme ses « amies », même si ces dernières ont passé plus de temps à piailler qu'à l'aider. Alors, à l'instar de la vendeuse, Corinne et moi sourions en hochant la tête de temps à autre.

Quand Séverine referme le rideau d'un geste agacé, Manon s'affale sur son siège, face à nous.

— Oh, bordel de...

— Manon ! la rabroue Corinne à voix basse.

La jeune femme pince les lèvres et se garde bien de continuer. Front plissé et sourcils froncés, elle extirpe son casque Bluetooth de son sac et, d'un clic, disparait dans les méandres de sa playlist. Corinne, de son côté, ne parait pas plus enchantée que nous de cette séance essayage. La contrariété se lit sur son visage et sa façon de malmener son bracelet de perles trahit son mal-être. Sans doute devrais-je trouver une parade, une pirouette pour détendre l'atmosphère ?

— Dieu, Ana, dis-moi que toi, tu ne seras pas aussi exaspérante.

Alerte rouge ! Mayday, mayday ! Je me redresse d'un bond, le cœur au bord des lèvres.

— Pardon ?

— Concernant ta tenue pour ce mariage. J'ose espérer que, malgré les exigences plutôt contraignantes de Séverine, tu trouveras quelque chose de joli et adapté sans faire tourner toute la famille en bourrique. Ou...

Ses yeux dévient vers l'employée du magasin, qui revient les bras chargés de deux nouvelles robes.

—... les pauvres vendeuses, conclut-elle.

À mesure qu'elle parle, ma tension artérielle retrouve son rythme de croisière et l'étau autour de ma poitrine se desserre, jusqu'à disparaître pour de bon. Ce que tu peux être gourde, ma pauvre Ana ! À quel moment as-tu pu imaginer que...

— Respire, ma chérie, glousse Corinne en posant sa main sur mon genou. Je n'en suis pas encore à publier les bans, tu sais.

J'oscille entre envie de disparaître à tout jamais et reconnaissance envers ma seconde maman pour sa gestion des événements. Elle n'a rien laissé paraître, n'a pas rebondi sur les accusations à peine voilées de Séverine au cours de la journée, se contentant d'éluder la question. Toutefois, je crois que cette fois, je n'échapperai pas à la mise au point. Je connais bien assez la septuagénaire pour déceler cette petite étincelle malicieuse au fond de ses prunelles.

— Malgré tout, je dois avouer que je suis plutôt... heureuse de la tournure du week-end. Pas toi ?

Je risque un coup d'œil en direction de Manon. Isolée dans sa bulle musicale et les yeux rivés sur son smartphone, elle semble nous avoir oubliées. Les deux amies de Séverine gloussent devant un rayon de tiares, imperméables à ce qu'il se passe au-delà de leurs smartphones et leurs ongles parfaitement manucurés. J'esquisse un sourire, reporte mon attention sur Corinne.

Ceux qu'on étaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant