L’âme de Raïssa flottait au-dessus de cette cour, cette cour qui lui avait autrefois semblé si grande, si pleine de vie. Les manguiers aux branches tordues étendaient leurs bras au-dessus du sol rougeâtre, et le soleil déclinant projetait des ombres longues et mystérieuses. C'était un lieu de jeux, de rires, et de chaleur familiale. Mais en ce jour-là, un voile sombre s'apprêtait à recouvrir ce havre de paix, une noirceur que l’enfant, avec ses tresses ornées de perles brillantes, ne pouvait encore soupçonner.
L’âme de Raïssa, désormais détachée du poids de la chair, observait avec une acuité douloureuse cette scène qu’elle avait tant de fois refoulée. Elle se souvenait de la petite fille qu’elle était alors, pleine de vie, courant pieds nus sur ce sol poussiéreux, ignorant qu’à cet instant, tout allait basculer.
Raïssa était concentrée sur son jeu, lorsque la voix familière de son oncle s’éleva depuis l’ombre du manguier. Il l'appelait d’un ton doux, presque mielleux, la tirant doucement de son insouciance d’enfant. Cet oncle, ce proche que tous respectaient, était une figure de confiance, l’un de ces hommes à qui l’on confiait les enfants sans la moindre hésitation. En le voyant, Raïssa sourit et s’approcha, ses perles cliquetant à chaque pas, insouciante du danger qui se dessinait dans cette après-midi apparemment ordinaire.
« Raïssa, viens voir ici », dit-il d’un ton bienveillant, assis sous l'arbre, son visage illuminé par la lumière filtrante des branches. Il lui parla doucement, lui offrit quelques compliments sur ses jolies tresses, la fit rire avec ses anecdotes sur ses cousins. Raïssa, flattée et insouciante, s'assit près de lui, se sentant en sécurité.
Mais bientôt, son comportement changea. Il l’attrapa doucement, l’attirant un peu plus près de lui. Ce geste, au départ innocent, devint rapidement insistant. Ses mains, qui avaient caressé ses joues, se déplacèrent sur ses bras, puis sur son dos, avant de descendre vers des zones qu’elle ne comprenait pas encore être interdites. L’âme de Raïssa, flottant dans cette scène, ressentait à nouveau la froideur de cet instant. Le regard de l’oncle avait changé, il n’était plus celui d’un proche bienveillant, mais celui d’un prédateur.
Raïssa, prise de panique, commença à se débattre faiblement, son instinct lui criant que quelque chose n'allait pas. Mais elle était seule. La cour, autrefois si pleine de vie, semblait soudainement déserte. Les rires s'étaient évanouis, et même le vent, qui jouait dans les feuilles du manguier, s'était figé.
D’un geste brusque, l’oncle l'allongea sur le sol. Ses mains puissantes la maintenaient fermement, tandis qu’il posait une main sur sa bouche pour étouffer ses cris. Ses vêtements furent soulevés en un instant, et une douleur brutale traversa le corps de la petite fille, une douleur qu'elle n'oublierait jamais. Ses yeux grands ouverts fixaient les branches du manguier au-dessus d’elle, cherchant désespérément un échappatoire. Mais il n’y en avait pas. Chaque seconde s’étirait en une éternité d’horreur, tandis que son agresseur accomplissait son acte immonde.
L'âme de Raïssa, flottant dans ce moment figé, observait avec une impuissance désespérée. Elle voyait les moindres détails que la petite fille, dans sa terreur, n’avait pas saisis : le sourire furtif de l’oncle avant l'acte, les bruits étouffés de la maison où les femmes cuisinaient sans rien savoir, le craquement des branches au-dessus de leurs têtes. Ce qui aurait dû être un endroit sacré, protégé par l’amour familial, était devenu un lieu de trahison.
Mais, alors que l’âme se concentrait davantage, elle percevait autre chose. Un détail qui avait échappé à l’enfant qu’elle était : quelqu’un d’autre avait vu.
De l’autre côté de la cour, caché derrière un mur, un autre enfant, un garçon à peine plus âgé que Raïssa, avait tout vu. Il s’appelait Koffi, et c'était l'un des cousins que Raïssa considérait comme un frère. Il était là, immobile, ses yeux agrandis par l’horreur de ce qu’il venait de voir. Lui non plus ne comprenait pas pleinement la gravité de la scène, mais il savait qu'il assistait à quelque chose de profondément mal.
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UNE EIV
Mystery / ThrillerUne EIV est une œuvre singulière qui interroge la nature du temps et de l'existence à travers un prisme inusité. L'âme d'une femme récemment décédée devient spectatrice de l'au-delà, mais découvre avec stupéfaction que le temps ne suit plus son cour...