Les Pivoines Du Mal

Chapitre 11 : Un lourd secret.

  L'inconnu ouvrit une besace noire avec un geste précis et en sortit un disque. D'un mouvement mesuré, il retira ensuite sa veste, révélant une arme soigneusement dissimulée sous le tissu. En apercevant le métal menaçant, Raphaël recula instinctivement, gardant Vanessa derrière lui, son cœur battant à tout rompre. L'homme se dirigea vers le tourne-disque qui trônait au fond de la pièce, comme s'il connaissait les lieux et y déposa délicatement son vinyle. Le grésillement caractéristique précéda le doux son d'un morceau de piano qui emplit la pièce. Vanessa reconnut instantanément la mélodie du piano qui flottait dans l'air, une douce et familière sonorité qu'elle écoutait souvent dans son bureau. Un frisson glacial la traversa. Ce son n'était pas là par hasard. Tout, depuis le début, avait été méticuleusement orchestré. Elle le comprit avec une clarté terrifiante. Il s'était renseigné sur le lieu, avait étudié chaque détail, leurs habitudes, leurs goûts. Ils étaient pris au piège. Un étrange contraste se créa alors entre la menace implicite de sa présence armée et la mélodie envoûtante qui s'échappait du vieux dispositif.

  Pendant toute cette mise en scène, Raphaël était resté dans le hall d'entrée, regardant Vanessa qui fixait leurs invités sans ciller, avec une intensité troublante. La soirée, déjà marquée par des rebondissements inattendus, bascula dans une atmosphère encore plus dérangeante lorsque Raphaël remarqua que sa femme n'émettait plus un seul son. Elle était figée, presque comme une statue, le regard étrangement vide, comme happée par quelque chose ou quelqu'un. Il était perplexe, une foule de questions tourbillonnait dans son esprit. Était-ce parce qu'elle connaissait cet homme ? Ou bien Vanessa avait-elle commis une erreur, une terrible méprise dont elle se rendait compte trop tard ? Raphaël serra les poings, une sueur froide lui glissant le long de la colonne vertébrale. Quelque chose se préparait, quelque chose d'inéluctable. Il serait toujours là pour protéger ceux qu'il aimait, mais une chose était certaine : il était profondément terrifié par ce qu'il s'apprêtait à découvrir. Cet étranger s'appropriait leur maison avec assurance, alors que Vanessa demeurait silencieuse, semblant être prise dans une sorte de léthargie émotionnelle. Raphaël, se trouvant entre ses deux personnes, se sentit comme un spectateur impuissant, cherchant des réponses dans le mystère qui se jouait devant lui. Une scène au dénouement inconnu pour lui se jouait. Le regard inquisiteur de Raphaël interrogea Vanessa, mais elle demeura muette. Une étrange immobilité régnait, comme si le temps lui-même s'était suspendu. Les secondes semblaient des heures, et l'incompréhension grandissait dans l'esprit de son mari. Finalement, incapable de supporter davantage cette scène étrange, Raphaël réagit :

- Vanessa, qui est cet homme ? Pourquoi ne dis-tu rien ? demanda-t-il, sa voix trahissant son agacement et sa confusion.

Vanessa sembla sortir de sa torpeur, mais son regard demeurait lointain.

- Je ne... Je ne suis pas sûr...

- Pas sûr ?! Qui êtes-vous ? Répliqua Raphaël en direction de l'inconnu, son incompréhension se mêlant à une pointe de colère.

  L'homme en question ne bougea pas, une étrange sérénité flottant autour de lui. Son silence n'arrangeait rien à l'atmosphère déjà pesante, et le cœur de Raphaël battait plus fort. Le malaise devenait insupportable, mais personne ne semblait prêt à briser le silence glacial qui les enserrait. Il avait du mal à comprendre pourquoi Vanessa agissait de cette manière. L'inconnu, pendant ce temps, observait la scène avec un léger sourire en coin, comme s'il connaissait un secret que Raphaël ignorait. Sans-gêne, l'indésirable ne releva en aucune manière la question de Raphaël. Son attitude laissait transparaître une assurance déconcertante, comme s'il se considérait au-dessus des interrogations ordinaires. Il était le maître du jeu dans ce huis clos énigmatique, décidant du tempo de chaque révélation. Cette réalisation accrut le malaise de Raphaël. Qui était vraiment cet homme, et que savait-il que Raphaël ne savait pas ?

  L'inconnu, à la démarche assurée et au regard magnétique, ne disait pas un mot, mais son charisme semblait emplir chaque recoin de la pièce. Ses gestes étaient fluides, presque dansants, lorsqu'il parcourait la pièce. Il déplaça subtilement des objets, ajusta l'éclairage. Le charisme de l'intrus était tel que chaque geste, chaque mouvement plongeait Vanessa et Raphaël dans une sorte d'hypnose, les empêchant de réagir. L'atmosphère de la pièce changeait graduellement, devenant peu à peu anxiogène. La lueur tamisée des bougies, allumées d'un geste gracieux de l'inconnu, projeta des ombres dansantes, donnant à l'environnement une dimension à la fois séduisante et maléfique. Les regards du couple se croisaient, mais un étrange sentiment d'apathie semblait s'emparer d'eux. La manipulation psychologique de l'inconnu était telle qu'elle agissait insidieusement, faisant naître un sentiment d'impuissance grandissant. Raphaël transpirait déjà à grosses gouttes, palpant la tension dans la pièce. Vanessa, quant à elle, déglutissait difficilement, sentant son anxiété monter, comprenant peu à peu qui était face à elle et de quoi il était capable. L'inconnu, tel un marionnettiste invisible, manipulait leur état émotionnel avec une adresse impressionnante.

  Sans s'en rendre compte, ils se retrouvèrent tous les quatre autour de la table du salon. L'inconnu avait réussi à les déplacer selon ses propres désirs, sans qu'ils en aient la moindre conscience, poursuivant son art insidieux, sans un mot. Vanessa avait machinalement attrapé la main de Raphaël, ses doigts se refermant autour de la chaleur rassurante de sa paume. Ce geste serré traduisait une peur grandissante, une peur qu'elle ne pouvait plus dissimuler face à l'homme mystérieux assis à la table du salon. Raphaël, ressentant la pression dans la poigne de Vanessa, tourna lentement son regard vers elle. Il y lut l'inquiétude, la nervosité et l'avertissement muet que cette présence représentait le summum du danger. D'un sourire énigmatique aux lèvres, l'homme pensa à voix haute : 

- Douce mélodie pour une soirée sanglante.

  Le piano, que l'on n'entendait plus que faiblement sous la tension ambiante, continuait de distiller ses notes délicates. La mélodie, autrefois apaisante, dansait maintenant avec l'atmosphère lourde de suspense, ajoutant une dimension presque macabre à la scène. Soudain, l'inconnu, avec un sourire narquois et un sourcil arqué, brisa l'attente d'une voix glaciale :

- Savez-vous pourquoi je suis ici ce soir ?

  Ce simple geste, ce sourcil arqué avec désinvolture, déclencha une réaction chez Vanessa. La ressemblance qui se dessinait sur le visage de l'homme la frappa de plein fouet. Ses yeux s'élargirent, envahis de larmes naissantes. Une vague de terreur la submergeait tandis qu'elle semblait reculer d'un pas, comme pour échapper à une vérité trop insupportable. Raphaël fut tiré avec elle, déséquilibré par son mouvement brusque. Il la rattrapa d'un geste ferme, la maintenant contre lui, sentant son corps trembler légèrement.

  Au même instant, l'homme reprit, sa voix calme mais imprégnée d'une menace latente :

- Je suis David... David Dumont, précisa-t-il. Je suis ici pour récupérer ma progéniture.

  Le cœur de Raphaël se serra. Le sol semblait se dérober sous ses pieds alors qu'il réalisait ce qui était en train de se dérouler sous ses yeux. Les morceaux du puzzle, jusqu'alors éparpillés, prenaient forme. Un frisson glacé lui parcourut l'échine. Il tourna la tête vers Vanessa, qui n'osait plus bouger. Son regard, autrefois plein de vie, n'était plus qu'un miroir de sa propre terreur. Ce lourd secret qu'elle avait gardé pendant toutes ces années, enfoui dans les profondeurs de son être, venait d'éclater au grand jour. Le silence qui suivit fut assourdissant. Dans cet instant suspendu, Raphaël comprit que rien ne serait plus jamais comme avant.