Chapitre I.

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Une légère brise venait s'insufler dans le bas de sa robe bleu marine. Elle était une caresse partant de ses pieds et remontant doucement jusqu'au dessus de ses genoux. Elle finissait par se heurter au tissus. Cette hauteur pour les robes ou encore pour les jupes était réglementaire. Le corset n'existait plus depuis longtemps mais la société en avait fabriqué un invisible. Fait de moeurs et de paraître. Elle se demandait souvent ce que serait la vie des femmes dans une cinquantaine d'années. Elle espérait de tout coeur qu'elles connaissent la liberté, l'égalité et surtout qu'elles ne vivent jamais la guerre. Qu'elles vivent plutôt d'amitié, d'amour et de famille.

Elle, Aude Beauchamp, elle n'avait pas cette chance. À l'âge de 18 ans, elle n'avait jamais aimé. Malgré les nombreux courtisans. Elle avait perdu ses parents, Lise et Arthur, il y avait sept ans dans un accident de voiture lors d'un hiver rude. La route était recouverte par le verglas et la neige. Le sourire aux lèvres, ils venaient la rejoindre chez ses grands-parents pour passer les vacances de Noël ensemble. Cela ne s'était jamais réalisé. Elle y pensait souvent. Il y a toujours une odeur, un endroit, un souvenir qui la ramenait vers eux. Lui déchirant à chaque fois le coeur. Cependant, nous apprenons à vivre avec la douleur. Le temps permet de faire son deuil. Nous ne pouvons combattre la vie. Nous finissons toujours perdant.

Elle l'a compris une seconde fois lorsque son grand-père lui a été arrachée. Il y avait deux ans, une crise cardiaque l'avait emporté. Son papili... Elle se souviens du jour où elle l'avait appelé ainsi pour la première fois. Elle avait quatre ans, main dans la main ils se promenaient dans cette prairie à la recherche de papillons. La grande passion de Papili lorsqu'il n'était pas occupé à gérer son entreprise. D'origine modeste, il avait fait fortune en créant des bijoux. Ses amis et clients le décrivaient souvent comme un homme secret et particulièrement doué. Un acharné de travail. Mais avec sa petite fille, il oubliait les tracas de la vie. Jamais elle ne l'avait vu triste. Même à la mort de ses parents lorsqu'il l'avait recueillie, il affichait son grand sourire. Celui que même son imposante moustache blanche ne pouvait cacher. Il avait été sa lumière dans les ténèbres. Depuis qu'il n'était plus de ce monde, son univers s'était assombri. Elle avait appris à vivre seule avec sa grand-mère Éleonore. Une femme froide occupée à gérer l'affaire familiale d'une poigne de fer.

Elle ne vivait que pour la marque "Beauchamp". Restant cloîtrée la majorité de son temps dans l'ancien bureau de Papilli. Ou alors à faire des allers-retours entre Othis et Paris afin de vérifier que chaque employé accomplissait parfaitement son rôle. Cette femme était admirable. Elle avait bravé les obstacles sur sa route dût au fait qu'elle était une femme et elle prouvait tous les jours qu'elle méritait d'être la gérante de cette prestigieuse entreprise familiale. Et puis, elle n'avait pas le choix. Elle avait perdu son second fils lors de cette guerre. Thomas avait été enrôlé dans l'armée et avait péri en protégeant leu pays. Celui que Pétain avait donné sur un plateau d'argent aux Allemands. Depuis plusieurs années, Aude attendait les points serrés que la guerre finisse. Au fur et à mesure elle avait perdu espoir. Jusqu'à récemment grâce au débarquement en Normandie. Elle pouvait le sentir, la liberté était proche. Tous les Français ne souhaitaient qu'elle. Ils étaient fatigués d'attendre, de souffrir, d'avoir faim et de devoir se taire devant les ennemis. Aude en avait assez et elle ne pouvait imaginer ce que des Français dans une position moins favorable que la sienne pouvaient ressentir. Un vent de bonheur s'apprêtait à déferler sur la France.

Par ailleurs, peut-être que eux étaient entourés dans ces moments tragiques. Elle, elle ne vivait qu'avec sa grand-mère à la campagne dans ce grand manoir familial blanc en forme de carré à 40 kilomètres de Paris. Et cela ne les avait pas rapproché. Elles cohabitaient tout simplement. En effet, elles ne partageaient que rarement des repas. Elles ne se confiaient pas l'une à l'autre et surtout elles ne parlaient pas des morts. La seule fois où Élonore l'avait fait c'était lorsque Aude était en train de jouer du piano. Elle s'était levée de sa chaise, les yeux larmoyant et le menton tremblotant. Elle lui avait levée le visage et avait dit "Tu as les même yeux que ton père. Ce mélange si troublant de bleu-gris". Elle avait vérifié ses dires lorsqu'elle s'était retrouvée seule. Elle avait raison. Souvent elle se regardait et se concentrait sur ses yeux en forme d'amende. Tentant de combler l'absence de son père. Plusieurs fois elle s'était demandée si sa grand-mère était distante du fait de cette ressemblance. La regarder lui rappeler certainement le fils ainé qu'elle chérissait tant.

Le manoir avait perdu ses bruits de rire et de discussions animées. Il était devenu incroyablement vide, malgré la présence de deux domestiques et d'un majordome. D'où le fait que dès que le temps le lui permettait, elle venait se réfugier dans la prairie de la propriété. Elle s'allongeait dans l'herbe et elle lisait pendant des heures. Enfin elle dévorais des livres. Ils étaient ses échappatoires. Elle s'évadais et rêvait d'une autre vie. Elle retardait le moment fatidique du retour à la réalité. Cependant aujourd'hui son esprit vagabondait et elle n'arrivait pas à se concentrer. Elle attendait impatiemment des nouvelles de son meilleur ami Gaston. Il devait la tenir au courant de l'avancée des Américains. C'était impossible de se concentrer alors que le moment qu'elle avait tant espéré pointait enfin le bout de son nez. Elle ne craignait plus l'avenir, elle savait qu'il serait meilleur. Ils n'avaient besoin qu'uniquement de la liberté pour cela.

Impatiente, elle referma brusquement son livre et le posa sur son ventre. Les yeux levés vers le ciel bleu parsementé de nuages, elle jouait d'une main avec l'herbe. Ses yeux lui brûlaient et ses paupières étaient lourdes. Depuis que la guerre avait été annoncée elle dormait peu et depuis quelques semaines ses nuits étaient agitées. La patience n'avait jamais été l'une de ses qualités. Peut-être qu'elle pouvait se permette de dormir un instant, après tout elle ne savait pas quand Gaston arriverait. Le connaissant, il ne manquerait pas de la réveiller. Cela l'amuserait même. Comme elle était fatiguée! En fait, elle était las de tout. Elle espérait que cette fin de guerre entraînerait avec elle cette fin de vie maussade. Elle voulait que ce soit un tournant. Que tout change. De plus, depuis deux semaines elle avait eu 18 ans. Même si la majorité était à 21 ans, elle aura plus de liberté. Le bonheur était à porté de mains.

Le bruit de pneu remontant l'allée en gravier la sortit précipitamment de son sommeil. Elle s'assit dans l'herbe et tourna la tête vers le bruit. La voiture crème de Gaston venait de passer les hautes grilles en fer forgées à gauche du manoir. Elle se leva, pris son chapeau crème entouré d'un ruban bleu marine et lui fit signe. Dès qu'il la vit, il s'acharna sur le klaxon. Pendant qu'il se garait, elle remonta le plus rapidement possible la prairie. Heureusement elle ne s'était installée qu'à une vingtaine de mètres de l'habitation. Sous l'imposant sol pleureur. Gaston sortit du véhicule et s'appuya sur le toit de celui-ci. Un immense sourire collé sur le visage. Si elle le pouvait, elle volerait jusqu'à lui. Avant même qu'il ne lui annonce les nouvelles, elle savait, vu son expression, qu'elles ne pouvaient qu'être bonnes. Elle avait déjà envie de rire. L'euphorie la gagnait au fur et à mesure qu'elle réduisais la distance les séparant. Dès qu'elle fut à sa portée, il cria.

- Dépêche toi! Les Américains approchent de Paris. Si nous partons maintenant, nous serons là pour les accueillir!


* * * *

Je publie le premier chapitre afin d'avoir vos avis. Je ne veux pas me jeter corps et âme dans un livre si l'idée n'est pas "accrochante"! :p

Faites preuve de patience et je promets que vous ne serez pas déçus! Je tiens aussi pour cette histoire à ce qu'elle soit réaliste, qu'elle vous évade et qu'elle vous fasse rire comme pleurer! :)

À bientôt! :D

Ps: En attendant vous pouvez toujours lire mes autres ouvrages "Idem", "Diablement vôtre", "Au delà d'une vie" et "Là-Bas".

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